3. Corps et fragments de corps : la chair du héros

Territoires et corps ont formé la structure binaire par laquelle nous avons expliqué la formule "Action". Le film d'Action semble en effet tout particulièrement destiné à mettre en image les corps, mais en raison de sa psychologie expéditive, de son immédiateté362, il semble n'y parvenir que par défaut. La bêtise supposée du genre le fait donc retourner plus crûment encore du côté du corps, premier véhicule du héros, lieu de sa visibilité. Entre les espaces et les corps, nous allons à présent revenir à ce qui constitue leur rencontre : un point de contact. Si le tube préside à la rencontre de McClane avec la tour Nakatomi, il est, plus simplement, en relation avec l'immeuble, sur le mode physique du corps à corps. Bâti et héros partagent ainsi cette réalité physique qu'à la fois ils se disputent. C'est grâce à ce contact, explique Richard Dyer, que naît l'intensité du genre :

La sensation extrême est représentée comme le fait d'une expérience, pas au sein du corps, mais au travers du contact du corps avec le monde, son emballement, son exubérance, ainsi que le stress physique et les défis qu'il occasionne363.

Nous avons en effet introduit ce chapitre par l'exemple de Die Hard, et ce faisant, nous avons pris de biais les clichés physiques du genre, tant le corps de Bruce Willis diffère de ceux qui ont participé à fonder le genre - ceci parce que la muscularité des Rambo, ou des personnages de Schwarzenegger, a été très commentée. Si nous parlons de muscularité pour désigner l'état particulièrement musclé d'un corps, nous croiserons également le terme de musculinité, qui correspond à une francisation de "musculinity", un concept d'Yvonne Tasker qui a été très largement adopté par la critique gender. Le terme renvoie à un type de corps féminin sur lequel vient s'imprimer une forme de virilité par le biais des muscles. Les bodybuildeuses sont l'exemple canonique de la musculinité portée à son paroxysme. Si les musculatures féminines ne sont jamais aussi extrêmes que celles des hommes dans le film d'action, le corps bodybuildé féminin existe dans l'imaginaire collectif. Il est le sujet du documentaire Pumping Iron II: The Women (1985), commenté notamment par Yvonne Tasker364. En adoptant des codes masculins pour définir leurs corps, les bodybuildeuses en révèleraient l'inhérente artificialité ; plus encore, cette révélation induirait un brouillage des traditionnelles catégories genrées. Si ces problématiques sont quelque peu éloignées du sujet qui nous préoccupe, nous en tirons tout de même cette observation vis-à-vis du corps musclé : l'exhibition du muscle, dans la mesure où il touche à la nudité, semble connoter la naturalité ; néanmoins, le travail même du bodybuilding inverse ce codage, en révélant l'artificialité du corps construit.

Cette visibilité particulière du corps est qualifiée de "flex appeal" par Christine Holmlund365, tandis que Susan Jeffords choisit le qualificatif de "hardbodies366". Le terme de "beefcake" peut également être rencontré dans ces ouvrages, et désigne lui aussi l'esthétique du muscle hypertrophié au travers de sa mise en spectacle367 : Laurent Jullier et Marc Leveratto offrent de traduire le terme par "beaux morceaux368". Ces aspects peuvent être rapprochés de la "pumpitude" décrite par Fred Glass369. Cette terminologie, ainsi que les concepts qui s'y rattachent, correspondent globalement à une idée du muscle tel qu'il est dissocié de l'effort qui lui a donné son aspect, devenu objet de scrutation :

Les deux films [Pumping Iron et Pumping Iron II] refoulent l'histoire du bodybuilding et l'association à la classe ouvrière de ses participants et de son public, et choisissent plutôt d'insister sur le corps en tant qu'art, en tant que scultpure et spectacle éternel370.

Ce muscle, paradoxalement exogène à l'effort, existe donc du côté du spectacle. Pumpitude et flex appeal suggèrent également l'existence d'un muscle dont la visibilité dépasse celle du corps entier, s'y substitue. Yvonne Tasker insiste quant à elle - et c'est un aspect récurrent - sur l'opposition entre naturalité et artificialité du muscle bodybuildé :

Les muscles font émerger un paradoxe familier quant au rassemblement de la naturalité et de la performance, ce que Dyer a décrit comme la manière double que les muscles ont de fonctionner, à la fois comme une naturalisation de la "domination et du pouvoir masculin" et comme la preuve du travail effectif qui a permis cet effet371.

Il nous faudra donc préciser dans un premier temps comment cette théorisation du corps musclé a accompagné celle du genre Action. Nous introduirons cette réflexion par la présentation des filmographies respectives d'Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone, deux acteurs qui ont marqué le genre Action de leur présence musculaire. En effet, par leur seule présence physique, les deux interprètes charrient avec eux une aura de héros invincibles qui continue de faire référence dans l'Action de nos jours, soit pour être prolongé (Vin Diesel empruntant à ces deux modèles) ou renversé (Keanu Reeves ou plus récemment Shia LaBeouf, à l'opposé de ces corps massifs). Nous verrons que les deux carrières semblent se répondre, et définissent tour à tour des états similaires ou divergeants du corps bodybuildé. Partie de cette présentation nécessairement binaire, nous nous attacherons ensuite à proposer des découpes dans la somme des films présentant des héros musculaires. Nous verrons que plastiquement, le muscle répond d'un état de surface, et se fait le contenant symbolique d'une énergie, qui semble saturer le muscle et obliger le corps entier à la dépense.

Dans un second temps, nous chercherons quel est l'ailleurs du corps musclé, et s'il existe des alternatives à ce héros bodybuildé. Le corps deviendra alors impossible, figurine sans poids et indifférente à la gravité, avant de retrouver son organicité dans le phénomène physique le plus discret, la goutte de sueur. Les héros sportifs et les héros féminins seront également analysés, comme de possibles contre-modèles à la muscularité obsédante des héros d'action. Du côté de la critique française, le corps, sans être nécessairement théorisé à partir de la pathologie, est souvent analysé comme le symptôme d'un état dysfonctionnel (chez Nicole Brenez ou Jean-Louis Schefer, par exemple). Nous serons ainsi amenée à nous interroger sur le corps comme origine d'un mal-être, au travers du filtre de la maladie, de la pathologie. Enfin, le corps sera saisi dans sa relation à la limite, relation qui rencontre sa formule dans l'exploit, et questionne le héros du côté de son humanité : jusqu'à quel point le héros peut-il souffrir comme un homme ordinaire ? Jusqu'où le héros peut-il être extraordinaire ? Il sera ainsi question du poids des corps, et encore de l'énergie en tant que certains héros semblent ramener le corps à sa définition essentielle : ce ne sera plus le muscle démesuré qui incarnera le corps, mais le microcosme de la goutte de sueur. Nous conclurons ce chapitre par une analyse des héros sportifs, en tant qu'ils sont potentiellement représentatifs d'un sous-genre caractérisé par l'inclusion des sports extrêmes et de leurs mythologies.

3.1 Le corps à la mesure du muscle

3.1.1 Le concept de muscularité et ses corollaires

La fascination pour le muscle démesuré n'apparaît pas avec le film d'action. L'idéal antique du corps, avec des enjeux différents, s'attachait déjà à ce corps sain, résultat de l'effort.

fig. 32.1 fig. 32.2

fig. 32 : Victor Mature dans Samson & Delilah : le bodybuilding croise l'idéal antique.*

fig. 33

fig. 33. : Mark Wahlberg avant sa carrière d'acteur : le corps masculin est mis en spectacle.

La parenté entre bodybuilding et idéal antique est d'ailleurs manifeste dans la dénomination du concours Mr. Olympia. Le cinéma des premier temps s'intéresse également au spectacle de muscles valorisés par la pause, la posture ; plus tard le péplum s'inscrit lui aussi dans cette tradition372. Pour ne citer qu'un exemple, Samson and Dalilah affiche déjà un muscle qui motive de nombreux gros plans, une certaine attention aux formes de l'effort (fig. 32), ce dernier culminant dans la destruction finale du temple, que Samson (Victor Mature) entreprend en délogeant des colonnes à mains nues. Néanmoins, le film d'Action, en reprenant ces images de muscles saillants, brillants373 qui nous sont familiers, a également initié une nouvelle tradition. Car si le muscle contribue à faire de l'acteur une icône, sa mise à l'épreuve dans les différents récits le définit différemment. David Bigorgne décèle là un héroïsme "machiste374" qui s'accompagne d'un "érotisme carné et musculaire375". Plus particulièrement, les corps musculaires prennent toute leur ampleur dans un cycle de films des années 60 inscrit dans le genre du péplum376, centré sur les aventures de Maciste (Maciste contre le cyclope, Maciste contre Zorro) dit "muscle-opera377". Nous proposerons d'envisager le muscle d'Action comme absorbant étrangement la visibilité du corps, qui cesse alors d'être érotique malgré la nudité partielle qui le dévoile. C'est le paradoxe suggéré par des termes tels que flex appeal : le muscle montré par l'Action annule toute évocation de nature sexuelle, tout en étant extrêmement sexué, en termes de genre.

Ancré dans une tradition de monstration du corps masculin, l'exhibition du muscle dans le genre Action à partir des années 80 participe d'un mouvement culturel plus vaste qui a vu le corps masculin être livré à la contemplation. Susan Bordo a commenté cette obsession pour les images d'hommes partiellement dénudés, parfois mis en scène de manière suggestive, par exemple de manière célèbre dans les campagnes Calvin Klein des années 90378 (fig. 33). Plus largement, Yvonne Tasker parle quant à elle d'une "mercantisation du corps masculin" ("marketability of the male body379") et, en s'intéressant plus particulièrement aux films d'Action des années 80, remarque que la visibilité des corps représentés peut être vue sous deux angles. L'hyper-muscularité des corps des héros peut être lue comme le signe d'un retour triomphant à une virilité traditionnelle, ou comme l'image hystérique d'une masculinité sursignant ses codes traditionnels pour masquer une crise profonde380. De plus, cette attention portée au corps prendrait des connotations féminines. En effet, c'est traditionnellement le corps de la femme qui est soigné, maquillé, sublimé par la toilette pour être livré au regard du spectateur. Ici, les corps bodybuildés des héros semblent subir le même traitement et du coup muer en pin-ups mâles. L'article fondateur, très souvent cité et discuté, de Laura Mulvey ("Visual Pleasure and Narrative Cinema", en 1975) pose le cadre nécessaire à la compréhension de cette problématique du regard. Même si Mulvey elle-même, suite à l'ampleur du débat suscité par l'article, a tempéré la portée de son argument, il reste que sa théorie du regard (gaze) a largement dominé la compréhension des dynamiques visuelles dans le cinéma américain. Mulvey s'appuie sur l'analyse du cinéma comme plaisir scopophilique proposée par Christian Metz ; elle donne cependant à ce principe de plaisir une inflexion idéologique. Elle pose en effet dans l'article que le regard est représenté dans les films selon un schéma de regardant-regardé ; il s'agit d'une dynamique du pouvoir, où le regardant opère sur le regardé son influence, en tant qu'il le qualifie, lui assigne son rôle dans la société. Cette dynamique est plus particulièrement visible dans le cas des relations entre genres (gender), puisque que le regardé est souvent une femme, et le regardant un homme. De cette façon, le regardant prend le pouvoir sur le regardé. La femme, en tant que personnage de film, n'existe que pour la contemplation (et le plaisir) du héros masculin, et plus largement du public du même sexe. Alors qu'un spectateur s'identifiera à ce héros actif, moteur du récit381, une spectatrice ne pourra s'identifier qu'avec un personnage-objet, dont le rôle est d'être offert à ce regard dominant.

Depuis la publication de l'article, cependant, l'univocité de cette structure a été remise en cause, tandis que Mulvey elle-même a admis n'avoir jamais souhaité imposer ce seul et unique modèle comme grille de lecture. L'idée qu'être l'objet du regard relève intrinsèquement d'une position passive a été contestée ; du côté de la théorie spectatoriale, des théoriciens queer ont remis en cause le principe d'identification comme étant strictement déterminé par le genre. Leurs textes ont revendiqué la possibilité pour un spectateur, ou une spectatrice de s'identifier à différents personnages au cours du film. Les principes de Mulvey restent dominants, malgré les précisions apportées dans son article de 1981382. Nous retrouverons plus loin ce lexique mis en place par Mulvey, qui s'organise autour du regard, le porteur du regard, (ou regardant) et l'être-regardé(e)383.

Dès lors, les héros d'Action qui présentent des corps disponibles à la contemplation semblent être féminisés en retour par ce dispositif. La dichotomie actif / passif posée par Mulvey mérite cependant d'être nuancée, et mieux comprise au regard de l'exemple précis des héros d'Action. Car la passivité de ces hommes, comme le note Yvonne Tasker à la suite de Richard Dyer, ne saurait jamais être totale : le muscle contient la promesse de l'action, de la mise en mouvement384, quand bien même le corps est exposé de manière figée, à la manière d'une pin-up. Susan Jeffords évoque pour sa part l'observation de Steve Neale385, selon laquelle il est impossible pour le corps masculin de se livrer totalement comme objet de contemplation et affirme ainsi que ces connotations érotiques doivent être désarmorcées. Le registre guerrier ou violent permet notamment de contourner les aspects féminisants de l'exposition du corps : Jeffords affirme ainsi que dans le cas de Rambo "l'exposition par ailleurs érotique de son torse nu tout au long du film est détourné en étant qualifié comme objet d'entraînement militaire386". En somme, plus le corps du héros d'Action peut être désirable, plus il sera violent. Même si nous souscrivons à cette analyse, nous aurions également tendance à suivre Paul McDonald lorsqu'il critique en retour cette position, telle qu'elle est par exemple posée par Yvonne Tasker. Il écrit :

Une limite du travail de Tasker réside dans le fait qu'elle identifie les muscles comme un signe, mais n'examine pas en détail ce que font ces muscles mis en action. C'est ce qui arrive lorsqu'on soustrait l'action au cinéma d'action. Le corps musculaire n'est pas seulement un corps possédant un potentiel pour l'action, mais se révèle être, de manière constante, un corps en action. Traiter le corps comme un signe porteur de sens peut rendre difficile la lecture du corps comme source d'action, et peut mener à négliger la manière dont le corps produit justement du sens en agissant387.

Ainsi, si nous retenons les possibles connotations féminisantes d'une exposition du corps du héros, et la reconstruction qui l'accompagne afin de re-viriliser cette image, nous suivrons la ligne ici évoquée : il faut en effet éviter de rabattre le corps sur un signifié unique. Si nous aborderons le muscle dans sa bidimensionnalité, nous ferons en sorte que l'analyse effectuée ne soit pas, elle, bidimensionnelle. De plus, l'exposition du corps masculin pour le plaisir du spectateur n'est pas apparue avec les corps bodybuildés ; elle a plutôt pris alors une forme radicalisée. Et s'il est vrai, comme le montre Susan Bordo, que le corps masculin a plus évidemment été placé au centre d'un processus d'exhibition dans les années 80, l'observateur attentif peut trouver avant cette décennie des corps d'hommes tournés tout entiers vers leur monstration, tels ces hommes-objets que Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto se sont attachés à rassembler dans un ouvrage consacré388. Les deux auteurs montrent ainsi que l'objectification du corps masculin commence dès les débuts du cinéma et même avant, lorsqu'Eugen Sandow dévoile sa musculature sur une bande du kinétoscope de Thomas Edison389. Plus tard, c'est Burt Lancaster qui, bien avant Sylvester Stallone, apparaît les bras en croix, attaché à une potence390 (dans Kiss the Blood Off My Hands, Norman Foster, 1948) - la position forcée provoquant la pose, et donc la contemplation. Les héros d'Action des années 80 à nos jours sont donc différemment malmenés par leur exhibition, qu'il ne faudrait pas trop dissocier de leurs actions, au risque d'évaluer des signes coupés de leur contexte d'émergence. L'érotique du corps masculin n'est évidemment pas une nouveauté, pas plus que ses connotations féminisantes : elle subit cependant un retournement intéressant, dès lors qu'elle surgit au sein d'un processus de monstration qui vise justement, dans le contexte d'une société plus ouverte au féminisme et à l'androgynie, à réaffirmer l'identité masculine.

Laurent Jullier et Marc Leveratto évoquent également dans leur ouvrage des corps moins développés que ceux de Marlon Brando et Kirk Douglas, en évoquant une autre typologie, celle des "SYM" ou "sensitive young men" ("jeunes hommes sensibles"), tels James Dean et Montgomery Clift391. Les deux auteurs expliquent que ces acteurs "ne craignent pas de se donner en spectacle" et "inject[ent] dans leur jeu une féminité considérée comme l'extension de leur personabisexuelle392". Ces deux acteurs, sans être très musclés, possèdaient néanmoins une certaine carrure. Mais qu'en est-il des personnages maigres, voire même dénués de musculature, dans le contexte du genre Action ? La maigreur semble réservée aux personnages de freluquets, de comedy sidekicks qui, dans le meilleur des cas, accompagnent le héros et lui servent de faire-valoir, ou, au pire, se font humilier par le héros dans des circonstances comiques. Le premier cas est par exemple illustré par Judge Dredd : alors que Dredd (Sylvester Stallone) agit beaucoup et parle peu, Fergie (Rob Schneider) parle sans cesse, s'agite, gêne le héros - même si, au cours de la scène finale, il se révélera plus utile que prévu. Le faire-valoir bénéficie, en revanche, de l'héroïsme du héros, par procuration : ainsi une explosion les projettera au loin, et tous deux en sortiront indemnes. L'aura du héros semble alors avoir gagné le personnage secondaire, mais seulement dans sa résistance aux difficultés, car l'action à proprement parler reste le seul domaine du héros. Le second cas peut être illustré par True Lies, dans lequel un loser tente, pour séduire la femme du personnage d'Arnold Schwarzenegger, de se faire passer pour un espion. Le personnage est là aussi un faire-valoir : le ridicule de l'imposteur fait apparaître la prestance du véritable espion. Mais celui-ci n'accompagne pas le héros, ne bénéficie pas de son héroïsme. Au contraire, pour avoir voulu se faire passer pour héroïque, il est humilié : il a tellement peur de Schwarzenegger qu'il mouille son pantalon. Ce ridicule, totalement opposé à l'héroïsme fera l'objet d'un examen approfondi : les sidekicks, nerds, et autres personnages "nuls" opposés au héros possèdent des corps apparemment imperméables à l'héroïsme - nous verrons comment cela est fréquemment retourné393.

3.1.2 Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone

Les exploits décrits par le film d'action ont été incarnés, de manière notoire et pérenne pour le genre, par deux corps principalement : ceux de Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Concurrents, les deux acteurs possèdent des parcours qui se réflètent, s'inversent, et connaissent des points de croisement marquants. Au début de sa carrière, Arnold Schwarzenegger pratique le bodybuilding dans le cadre de compétitions, Mr. Universe ou Mr. Olympia. Le documentaire Pumping Iron (1977) retrace la victoire du futur acteur (au travers des deux concours sus-cités en 1975), et annonce déjà cette fascination pour le muscle qui caractérisera l'Action (fig. 35). Il utilise ensuite ce corps sculpté en interprétant Hercule (Hercules in New York, 1969). Quand ce n'est pas ce répertoire mythologique qui est exploité, l'acteur tend à incarner des personnages sculpturaux : un athlète passant son temps à la gym (Stay Hungry, 1976, en fig. 34), un homme de main peu loquace (The Long Goodbye, 1973).

fig. 34.1 fig. 34.2 fig. 34.3

fig. 34 : Stay Hungry (1976) utilise la salle de gym comme décor de choix.*

fig. 35.1 fig. 35.2 fig. 35.3 fig. 35.4 fig. 35.5 fig. 35.6

fig. 35 : Pumping Iron documente la participation d'Arnold Schwarzenegger aux concours de culturisme.*

fig. 36.1 fig. 36.2

fig. 36 : Conan the Barbarian.

Trois tendances marquent plus globalement sa carrière. Dans la lignée de Hercules, Schwarzenegger a joué des guerriers primitifs (fig. 36), de Conan the Barbarian (1982) à Red Sonja (1985) : il ne reviendra pas à cette première tendance. L'Action "pure", de type commando, saturée d'arsenaux, représente ensuite l'essentiel de sa filmographie, marquée par Commando (1985), Raw Deal (1986), Predator (1987), Terminator 2: Judgement Day (1991) jusqu'aux plus récents Collateral Damage (2002) et Terminator 3: Rise of the Machines (2003). De son côté, Sylvester Stallone débute sa carrière par des films mineurs (The Lords of Flatbush en 1974, Death Race 2000 en 1975) avant de connaître le succès avec Rocky en 1976, film dont il a écrit le scénario, et qu'il a refusé de vendre à moins d'incarner le rôle titre. Ce premier opus est le premier d'une longue série qui raconte les victoires et les infortunes d'un boxeur italo-américain (six films ont été réalisés, en 1976, 1979, 1982, 1985, 1990 et 2006, soit une saga de trente années). Stallone s'illustre parallèlement dans la franchise Rambo (quatre films, 1982, 1985, 1988 et 2008, voir en fig. 37) et dans des films d'action indépendants de toute franchise (Cobra en 1986, en fig.38, Lock Up en 1989).

fig. 37

fig. 37 : Sylvester Stallone dans First Blood.

fig. 38.1 fig. 38.2

fig. 38 : Dans Cobra, c'est un corps contenu, rétensif, qui est visible à l'écran.

Avec l'arrivée d'acteurs concurrents dans les années 90 (Mel Gibson, Bruce Willis, puis Keanu Reeves), un nouveau modèle moins musculaire commence cependant à voir le jour. Les deux acteurs, dont les carrières sont quelque peu freinées dans ce nouveau contexte, doivent se repositionner. Arnold Schwarzenegger joue dans Total Recall (1990) qui présente alors une lecture réfléchie du genre et prolonge son inscription dans la science-fiction tout en instaurant un second degré proche de la série Die Hard. L'acteur pousse d'ailleurs cette tendance à l'extrême en jouant dans Last Action Hero (1993) de John McTiernan, dans lequel il incarne un héros, qui, sorti, de l'écran, rencontre l'acteur qui l'incarne, c’est-à-dire Arnold Schwarzenegger lui-même. Ces films amorcent la dernière tendance de sa carrière vers la comédie avec Twins (1988), Kindergarten Cop (1990), Junior (1994), et Jingle All the Way (1996). Tandis que Schwarzenegger opère ce passage réussi à la comédie, Stallone connaît des échecs successifs malgré une stratégie similaire (Oscar en 1991, Stop! Or My Mom Will Shoot! en 1992). Arnie continue également de s'illustrer dans l'action, cette fois systématiquement teintée de science-fiction (Eraser, End of Days et The Sixth Day en 2000). Là aussi, Stallone suit la même voie, mais ne renoue pas avec le succès pour autant (Judge Dredd et Daylight en 1995 et 1996). Il parvient toutefois à trouver une forme de respectabilité en jouant un rôle réflexif, à rebours de sa physicalité imposante et invincible dans Cop Land (1997), où il interprète un policier de province, bedonnant et avachi, qui n'a jamais pu se réaliser à cause d'un accident ayant provoqué une surdité partielle. Malgré la fortune critique de ce film, cette interprétation d'un personnage à contre-courant de sa persona restera un acte isolé pour Stallone. Ainsi, si la carrière de Schwarzenegger a été plus constante sur le plan commercial, Stallone a tenté d'explorer un registre plus varié, voir de s'inscrire dans une relecture crépusculaire de sa carrière (le policier de Cop Land inversant les qualités traditionnelles de son corps). À la suite de cette première tentative, il a fait revenir ses héros Rambo et Rocky dans deux nouveaux films qu'il réalise (Rocky Balboa en 2006 et Rambo en 2008), où ils apparaissent, comme l'acteur, vieillis et fatigués avant de prouver qu'ils sont toujours verts sur leurs terrains de combat respectifs (le ring et l'Asie du Sud-Est). Stallone a prolongé ce motif du retour en lui adjoignant celui de la passation, en réalisant The Expendables en 2010. L'enjeu de ce dernier film consiste à rassembler les acteurs mythiques du genre : le spectateur retrouve ainsi ses stars préférées rassemblées en équipe (Stallone, mais aussi Jason Statham en guise d'héritier, Dolph Lundgren, Mickey Rourke394, Jet Li). Schwarzenegger a quant à lui mis un terme à sa carrière d'acteur lorsqu'il est devenu gouverneur de la Californie en 2003, mais son image continue de hanter le cinéma d'Action, lorsqu'une figurine de Terminator apparaît dans Live Free or Die Hard, ou qu'un avatar numérique de son corps est utilisé dans Terminator Salvation pour des raisons de continuité395. Enfin, Arnold Schwarzenegger fait une apparition courte et référencée (ce que les commentateurs américains nomment "a cameo appearance") dans The Expendables et The Expendables 2. Ces deux films sont à ce jour les seuls à avoir réuni de manière effective les deux acteurs.

Malgré ces différences, les carrières de ces deux "monstres sacrés" de l'action n'ont cessé de dialoguer. En 1993 sortent Last Action Hero et Demolition Man, deux films réflexifs et ironiques qui convoquent la courte histoire du genre Action et ses conventions déjà très identifiables. Les deux films fonctionnent sur le principe du déplacement, en arrachant leurs héros au confort habituel d'une situation d'action traditionnelle, pour la reformuler. Last Action Hero présente un monde où l'acteur Arnold Schwarzenegger existe - Arnie joue donc son propre rôle. Mais, dans un feuilletage propre à la réflexivité du film post-moderne, cet Arnold Schwarzenegger fictif s'illustre dans une franchise de films où il interprète le héros Jack Slater. Suite à une intervention magique, le jeune Danny (fan de Jack Slater) passe derrière l'écran et pénètre dans le monde fictif de son idole. Le spectateur de Last Action Hero atteint l'apogée du vertige référentiel lorsqu'il découvre que des films existent dans ce monde parallèle. Danny fait ainsi une découverte qui l'abasourdit : dans ce monde-là, c'est Stallone qui joue le rôle du Terminator. Demolition Man répond à ce clin d'œil. Lorsque le policier John Spartan (interprété par Sylvester Stallone) se réveille en 2032 après sa cryogénisation en 1996, il apprend que le président des États-Unis n'est autre qu'Arnold Schwarzenegger (de façon fortuite, en se rendant à la Schwarzenegger Presidential Library). En s'adressant des hommages respectifs396 (parfois acides, à n'en pas douter), les deux acteurs ne font que confirmer leur position dominante dans le genre Action.

Néanmoins, la complémentarité des deux acteurs ne se limite pas à quelques références anecdotiques. Plus fondamentalement, les définitions du corps du héros se heurtent et se répondent d'une filmographie à l'autre. Premièrement, la relation des corps des deux acteurs à leur héroïsme semble contrastée : alors que Stallone doit s'entraîner, s'améliorer pour s'élever au statut de héros, Schwarzenegger apparaît toujours héroïque dès le début des récits. Stallone est souvent filmé dans des scènes d'entraînement, notamment dans la série des Rocky, qui, si elle n'appartient pas au genre Action, a marqué de son empreinte la filmographie et la persona de l'acteur. Il est vrai qu'on ne voit pas Stallone s'entraîner dans la franchise Rambo, mais l'idée que ses qualités sont acquises plutôt qu'innées est rendue manifeste dans le discours (notamment celui du colonel Trautmann, chargé dans First Blood d'expliquer les origines de Rambo). Après Pumping Iron, où Schwarzenegger montre ses méthodes dans la salle de gym où il s'entraîne en tant que culturiste, le spectateur n'a plus l'occasion de voir l'acteur dans un tel contexte : il arrive dans les récits bénéficiant d'un héroïsme auto-immune397. De plus, si Schwarzenegger et Stallone sont tous deux concernés (nous le verrons) par les problématiques du corps machinique et du corps sauvage, ils semblent naviguer de l'un à l'autre en suivant des parcours inverses. Tom Shone explique en effet que "là où Rambo commence comme une machine de guerre, pour finir en punching-bag de chair, le Terminator suit un parcours opposé, en commençant par présenter l'apparence d'un être humain, dont la chair pèle pour révéler le chassis brillant d'un exosquelette398". Il faut tempérer quelque peu ce propos, puisque les personnages des deux acteurs, loin de n'exprimer de film en film qu'une trajectoire linéaire, présentent en fait des parcours faits de retours, de remords, qui relient le corps machinique, le corps carné et le résultat de leur hybridation : Stallone apparaît en homme-machine dans la franchise Rambo, mais aussi comme guerrier primitif se fondant dans des colonnes de boue avec son arc ; Schwarzenegger dissimule un exosquelette sous son apparence de chair dans The Terminator, mais suit le devenir d'homme primitif de Stallone dans Commando.

Si les parcours se croisent, les personas qui en résultent apparaissent bel et bien opposées. Observons seulement la relation des acteurs à leurs personnages. Ceux de Stallone se sont complètement substitués à lui, à tel point que "Rambo" est passé dans le langage commun pour désigner un guerrier efficace mais écervelé. Les Guignols de l'info399 ont même réalisé une marionnette de Sylvester Stallone, mais celle-ci ne renvoie pas à l'acteur lui-même, mais plutôt à Rambo (dans un premier temps, lorsque la marionnette apparaît pour singer les tactiques de l'armée américaine lors de la guerre du Golfe), puis aux têtes pensantes de l'impérialisme américain, incarnées par "Monsieur Sylvestre". L'image de Rocky et Rambo subsume ainsi l'acteur Stallone, quand il n'est pas ramené à une figure moyenne, somme des discours réactionnaires que ses films ont porté dans les années 80. À l'opposé, Schwarzenegger, s'il a connu des rôles devenus cultes (principalement, le robot de Terminator) n'a jamais vu ses incarnations le cannibaliser de la sorte. Qui se rappelle encore du nom des personnages de Schwarzenegger dans Raw Deal, Red Heat ou Commando ? Tous ces films mettent en scène Arnold Schwarzenegger avant de déployer des personnages. L'acteur autrichien suit ainsi le modèle de la plupart des acteurs "sportifs" (Bruce Lee, mais aussi Steven Seagal, Jean-Claude Van Damme ou même The Rock) que le public semble désirer voir à l'écran, peu soucieux du prétexte narratif qui justifiera leur apparition au cœur du spectacle.

Les deux acteurs se distinguent également par l'inscription sociale de leurs personnages. Schwarzenegger débute sa carrière comme un colosse mutique, mais à mesure que les années 90 se rapprochent, l'acteur voit ses personnages devenir de parfaits "family men" (pères de familles). Il s'inscrit ainsi dans un espace social dont Stallone reste longtemps exclu, puisque ses personnages restent des rebelles (le père itinérant de Over the Top) ou hors-la-loi (le prisonnier de Lock Up). Cette évolution correspond aussi à un réajustement du genre Action dans son entier, qui va quelque peu déserter les films violents, proches des films de guerre, pour proposer des divertissements familiaux. Le corps de Schwarzenegger semble néanmoins toujours décalé, déplacé par rapport à son contexte. En cela, Schwarzenegger se différencie une fois encore de Sylvester Stallone. Ce dernier présente toujours un corps socialisé à l'extrême, dès ses débuts où il interprète un représentant syndical menant la grève (F.I.S.T) ou un boxeur prolétaire (Rocky). Ces personnages s'inscrivent dans une société qui leur accorde un rang trop bas, ou ne les reconnaît pas à leur juste valeur : leur combat de héros visera donc à imposer leur existence à une société qui les rejette. Ceci est d'autant plus remarquable que des deux, Schwarzenegger est le seul à avoir effectivement émigré aux États-Unis. Comme le suggère Yvonne Tasker, le lien de Schwarzenegger à l'Europe est "national", celui de Stallone "ethnique400". Ce lien national est évacué par les films de Schwarzenegger : son accent allemand est requalifié pour colorer la parole mécanique de la machine (Terminator) quand il n'est pas simplement détourné (il devient un accent russe dans Red Heat). Stallone revendique quant à lui de manière systématique ses origines italo-américaines.

Ainsi, les carrières de Schwarzenegger et Stallone, prédominantes dans le genre Action, semblent tour à tour suivre la même ligne, tout en dialoguant, s'opposant. Ces deux facettes du héros américain coïncident imparfaitement, et doivent également être mises en relation avec d'autres modèles. Néanmoins, après avoir défini la nature de ce muscle prépondérant dans l'iconographie associée aux deux acteurs, nous verrons que ce sont les mêmes problématiques du corps naturel et machinique qui travaillent la forme physique de ces emblèmes du genre Action.

3.1.3 Le muscle comme contenant : corps et énergie

- Le muscle fait image

Que ce soit dans Rambo ou Commando, le muscle du héros semble incarner de façon superlative le corps, dans toute sa chair, en débordant le regard. L'hyperbole qui caractérise le volume des muscles de certains héros signale un désir de se fabriquer un corps infini, sans limites - et par conséquent, invincible. Opaque, le muscle (ou plutôt la peau qui le recouvre) semble cacher la force véritable, la source du pouvoir du héros. En cela, le muscle est une figure de trouble, qui nous amène à chaque fois à nous demander ce qu'il y a sous cette peau. Le film d'action s'obsède pour le muscle, et définit les héros comme des hommes qui possèdent des corps exceptionnels - mais ces corps semblent n'être faits que de muscles. C'est cette visibilité qui occupe le genre, au travers d'une anatomie qui semble ignorer les autres possibles du corps. Sur un mode synecdotique, le corps devient en somme un énorme muscle. Bien sûr, il n'existe pas de typologie unique du muscle au sein de notre corpus. Bruce Willis et Mel Gibson sont de fait musclés, mais n'arborent pas de musculatures bodybuildées, extrêmes. Dans le cas de Mel Gibson, par ailleurs, d'autres influences se manifestent : les corps des acteurs de films de kung-fu ont clairement influencé la redéfinition de ce corps qui tend alors vers une sorte de maigreur, pour ne pas parler de sécheresse. Pourtant, si le physique de Stallone et Schwarzenegger n’a pas systématiquement fait école, le vécu de ces corps a en revanche été fixé par les deux acteurs, pour contaminer ensuite une grande variété de corps - y compris celui, apparemment antithétique, de Mel Gibson.

Le muscle, associé à des récits où l'exigence du mouvement perpétuel domine, semble ainsi devenir un contenant. Visuellement, il contient l'énergie qui alimente la dépense obligée par le récit. Rambo, lorsqu'il court, s'acquitte de sa mission mais semble dans le même temps compenser ce trop-plein d'énergie par le maintien de l'effort. Le muscle s'illustre ainsi par un perpétuel va-et-vient entre sa matérialité évidente, son existence de chair et son abstraction. Si le muscle, surtout dans le gros plan, semble faire surgir plus brutalement la présence physique du héros, sa répétition occasionne aussi son figement dans le stéréotype. Le muscle peut alors devenir abstrait, s'isoler dans son caractère artificiel : le corps du héros prend des airs de figurine, ou le muscle n'est que la représentation sérielle de la force, déconnecté de sa réalité de chair.

Ce caractère emblématique est d'ailleurs retenu par les films : ainsi dans Predator, les personnages Dutch401 (Arnold Schwarzenegger) et Dillon (Carl Weathers), des militaires tous deux très musclés, échangent une poignée de main solide402 (fig. 39).

fig. 39.1 fig. 39.2

fig. 39 : Le muscle obsède le plan dans Predator.*

Ce simple geste motive un changement d'angle de la caméra, qui interrompt la fluidité du mouvement des corps pour isoler, de côté, une vue des deux bras massifs contractés ensemble dans ce salut. Ce point de vue n'est ni anthropomorphique, ni justifié par le récit : c'est une vignette, quasiment un instantané extrait du film. La symétrie de la posture, accentuée par les différentes couleurs de peau des deux acteurs (Dillon est Afro-Américain) achève d'abstraire ce mouvement. Plus tard, à travers les efforts de Dutch, ou la rencontre avec les victimes écorchées du Predator, le muscle regagnera en présence charnelle ce qu'il avait perdu dans cette première scène. Une scène similaire est repérable dans Tango & Cash (Andrey Konchalovskiy, 1989) ; là aussi il se produit une rencontre entre les contraires. Dans Predator, la différence entre homme blanc et homme noir est comme passée sous silence par leur rencontre spectaculaire autour d'un corps identique : le volume du corps (le muscle) domine dans la définition des personnages, alors que la "couleur" (la race) semble ne plus importer. Dans Tango & Cash, deux personnages blancs, mais appartenant à des classes et des sphères culturelles différentes, nouent ainsi un contrat héroïque, fondée sur la reconnaissance d'une même physicalité - ce n'est pas une poigne de fer qui fait figure de signature, mais un "high five" puissant.

Plus le muscle est gros, plus il semble impossible et prend des allures d’artifice, de prothèse. Or, l’Action présente un programme bien différent des spectacles de bodybuilding, puisque le genre lui-même impose que le corps soit en mouvement. Mais, au-delà de la présence visuelle manifestée par les corps musclés, comment le muscle est-il défini par l'action ? Il semble en premier lieu dissocié de cette dernière : le bodybuilding, pratiqué en salle, fait naître une apparence physique qui est associée à un autre type d'effort. Alors que Rambo est musclé à cause de son entraînement militaire, Sylvester Stallone suit quant à lui un entraînement à vocation esthétique : le muscle signifie la force, mais ne l'incarne pas. Ainsi un corps de Mr. Universe est-il prêté à un espion (Raw Deal, John Irvin, 1986) ou à un militaire (Predator, John McTiernan, 1987), et met en évidence la séparation entre personnage et acteur. Le muscle est donc tendu entre l'évidence de sa présence, sa pure physicalité, et son artificialité. Ce qu'il perd en réalité dans l'exhibition, il le gagne dans l'action, quand il est - enfin - mis en mouvement. On navigue sans cesse, dès lors qu'il est question de muscle, entre une artificialité de ce dernier et un retour de tangibilité par le truchement de l'action parfois, le plus souvent cependant sur un mode presque gore : le muscle, et le corps du héros tout entier, ont besoin d'être de sang pour être de chair. C'est ainsi que l'image, qui semble tout d'abord abstraire le corps, va lui rendre une certaine matérialité.

- Le muscle textile

Cet état du muscle, lu comme surface, qualifie par extension le corps comme un élément textile. Dans le cas de Stallone et Schwarzenegger, le muscle fait ainsi figure d'habit héroïque. Cette modalité de la muscularité va ainsi déterminer la nature des attaques subies par le corps du héros. Dans la série des Rambo (principalement Rambo: First Blood Part II en 1985 et Rambo III en 1988), le héros du même nom apparaît imperméable aux explosions : les films ont d'ailleurs grandement contribué à la mise au point d'un cliché du film d'action, qui présente le héros courant au devant d'une déflagration, qui, si elle le "souffle", le projette au loin, lui laisse un visage charbonneux (fig. 40.2), le blesse rarement et ne le tue jamais403. Nous avons vu que l'explosion dans le film d'Action est une figure du désastre, une forme paroxystique qui nettoie la ville de ses péchés, la pulvérise pour faire place nette - mais elle n'applique jamais cette force au héros qui, s'il est projeté, est peu souvent atteint dans sa chair par cette logique de destruction. Il serait pourtant logique qu'en étant la forme la plus catastrophique de la destruction, l'explosion soit aussi la plus grande menace pour le héros. Il n'en est rien. Ce sont au contraire des attaques apparemment mineures qui vont menacer plus directement le héros, visuellement tout au moins. Le héros, protégé la plupart du temps de la mort par l'impératif du happy end et du retour au status quo est pourtant symboliquement exposé à la déconstruction de la force que le muscle affirme, par sa mise en spectacle.

fig. 40.1 fig. 40.2

fig. 40 : Le muscle comme surface à salire, crever, découper.
fig. 40.1 : Rambo recoud sa peau comme un vêtement dans First Blood.
fig. 40.2 : Le muscle apparaît noirci après une explosion dans Rambo III.

fig. 40.3 fig. 40.4

fig. 40.3 et fig. 40.4 : Rambo cautérise une plaie à la poudre dans Rambo III.

Rambo est ainsi régulièrement placé face à la menace de la coupure404 : celle-ci fait, comme la "présentation" du muscle, l'objet d'un gros plan. Apparaissent alors, de façon conjointe, le muscle tendu à l'extrême comme pour un effort, et la lame qui vient percer cette surface - cette dernière prend l'air d'une outre, d'une boursouflure qu'il faut soulager de la pression. Il semble donc, si le corps du héros contient symboliquement son énergie, que l'ouverture de ce corps, même à minima, représente un plus grand danger que l'explosion. Le méchant qui utilise une lame sembler vouloir liquider la force inflationniste du héros, en le vidant littéralement de son réservoir d'énergie. Une scène célèbre de Rambo III le voit ainsi cautériser une de ses plaies à la poudre - la balle a traversé son corps de part en part (fig. 40.3 et 40.4). Ce geste, ainsi que tous les autres mettant en jeu des lames venant "crever" le muscle, témoignent d'un corps qui ne peut voir fuir son énergie, qui doit, pour avancer, non pas se soustraire aux dangers, mais conserver son intégrité, son volume saturé dans le muscle. Eric Lichtenfeld lit cette angoisse dans les habits serrés qui enchâssent, depuis Cobra (George P. Cosmatos, 1986), le corps héroïque405. Dans ce film, Stallone joue un policier qui entretient avec son corps une relation de contrôle, visant à atteindre une forme de pureté. Des vêtements de cuir serrés, des lunettes de soleil opaques et un régime alimentaire maîtrisé fabriquent conjointement à Cobra (Sylvester Stallone) un corps imperméable, se tenant dans la rétention (fig. 38). À ce corps fabriqué, répond une nature sauvage évoquée par le patronyme "Cobra". Une même dynamique structure le personnage de Rambo, qui répare son corps comme un costume (Lichtenfeld dit : comme une machine406), mais rejoue une origine naturelle lorsqu'il s'extrait d'une colonne de boue. Dans tous les cas, le héros revendique une double appartenance, à la fois artefact se réparant lui-même et corps naturel, primitif. Nous reviendrons sur cette dualité entre organicité et machine, mais allons à présent examiner une autre forme de la coupure - qui se joue cette fois dans la matière du film.

- Le muscle fragmenté

La coupure ne menace pas seulement les héros sur le plan littéral du récit. Dans la structure même du film, la coupure (cut) tient de la découpe : le corps du personnage subit une fragmentation, et une recomposition par le montage. C'est une particularité des héros bodybuildés, presque un rituel407 : une séquence courte, au montage rapide, montre le corps par fragments, et en suggère ainsi la puissance en dénombrant ses atouts (fig. 41, 42, 43).

fig. 41, 42, 43 : 3 exemples de montage rapide illustrant l'équipement du héros. Tous ces exemples sont étayés dans les annexes.

fig. 41.1 fig. 41.2 fig. 41.3 fig. 41.4

fig. 41 : Arnold Schwarzenegger dans Commando (1985).

fig. 42.1 fig. 42.2

fig. 42 : Sylvester Stallone dans Rambo: First Blood Part II (1985).*

fig. 43.1 fig. 43.2

fig. 43 : Arnold Schwarzenegger dans Eraser (1996).*

Parfois, le muscle est vu de près, engloutit le plan de sa présence. À d'autres moments, le montage, qui se justifie par l'appareillage progressif du corps, combine une partie du corps et un accessoire. Rambo attache son bandeau iconique, justifiant ainsi un plan sur les muscles de son dos. D'autres plans montrent des couteaux glissés dans des fourreaux, des lacets que l'on attache. Cette rhétorique, que nous rapprochons volontiers du clip, semble peut-être offrir des enjeux limités. Cette fragmentation fait après tout simplement la démonstration des pouvoirs du héros, de son exceptionnalité. La succession des plans est un équivalent visuel de la liste : le corps est décomposé, dans toutes ses qualités. Ce traitement du corps comme objet a surtout été réservé aux personnages féminins dans le cinéma hollywoodien. La critique gender s'est intéressée à ces modalités du regard sur le corps féminin et a tiré de cette objectification la base de son argumentation. Laura Mulvey observe ainsi :

les gros plans sur les jambes (Dietrich, par exemple) et le visage (Garbo) sont une convention qui intègre un mode différent d'érotisme au récit. Quand on présente un corps en fragments, on détruit l'espace codifié depuis la Renaissance ainsi que l'illusion de profondeur nécessaire à tout récit. L'image sur l'écran en devient plate, comme celle des découpages de papier ou des icônes, perdant toute ressemblance avec la réalité408.

Il ne s'agit pas d'affirmer pour autant que cette modalité du montage féminise en retour le corps du héros d'action : plutôt, nous retenons ici l'écrasement que le gros plan fait subir au corps. Pour aller plus loin, il faut également examiner le caractère dual de la scène d'équipement, qui affirme la puissance du héros, mais le désarticule en le fragmentant. Mark Gallagher rejoint ainsi Mulvey :

Des plans fragmentés du corps du héros en action, ainsi que des vues sous des angles différents du même corps signifient la masculinité menacée et fracturée du héros. Ces films représentent visuellement le combat réussi du héros en produisant l'image de l'homme solitaire et entier. Une telle présentation adhère généralement aux principes de la narration cinématographique classique. Les conventions du montage analytique demandent des gros plans fragmentés, pour attirer l'attention sur les éléments signifiants d'une image plus grande. Dans les films d'action, cependant, les gros plans sur les membres et les muscles du héros masculin mettent souvent en évidence le rapport de ces parties du corps à la fonctionnalité du personnage masculin plutôt qu'à leur pertinence dans une scène particulière (tout comme les vues fragmentées du corps féminin appuient sur le statut d'objet de ce dernier plutôt que sur sa pertinence narrative) 409.

Si nous suivons l'observation selon laquelle ce type de montage suspend la narration, nous sommes plus prudentes en ce qui concerne le symbolisme relevé ici. Il nous semble en effet un peu rapide d'affirmer que ce type de montage connote une idendité fracturée. Plutôt, le héros émerge encore une fois ici de manière paradoxale : son héroïsme se construit dans le temps même ou le corps est déconstruit, démonté.

Tous ces montages (visibles dans les Rambo, mais aussi dans Commando, Eraser), en se focalisant sur le muscle, font l'économie du visage : reste le corps, un instant détaché de la star qui le possède. Par cette fragmentation, le muscle perd le lien avec le corps, il n'est plus une partie de. Il existe seul et devient, par compression, l'idée de muscle. Il y a du muscle, voilà ce que semblent dire les films d'action - et le corps est abstrait de nouveau, sur le mode de la synecdoque. Le muscle, et donc le corps, ne sont plus qu’un pli, une quantité luisante de peau gonflée qui constitue l’ensemble du plan, le dépasse dès lors que son échelle n’est pas reconnaissable. La monochromie du muscle, sa texture, tendent à définir un état qui peut être textile, comme nous l’avons vu : plus globalement, ces aspects signalent une esthétique du muscle tel qu’il sort de lui-même, devient autonome par rapport au corps que pourtant il s’attache à définir. Le muscle n’est donc plus une partie du corps, mais un ajout, une idée de force greffé sur le corps du héros. Alors que le genre repose fréquemment sur l'esthétique du torse nu, nous verrons que cette nudité n'en est pas une, puisque la peau, certes dénudée410, semble ainsi faire office d'enveloppe pour cette énergie que le héros dépense et préserve à la fois. Une double visibilité semble se construire ici, entre un corps qui excède le plan (si héroïque qu'il dépasse le médium cinématographique) et le montage qui tente de contenir ces muscles hyperboliques, en les découpant. Le supplice de la coupure a pu s'appliquer à des corps moins musclés : il en va ainsi de Riggs dans Lethal Weapon, fouetté par des câbles électriques - son corps n’est pas enflé comme celui de ses prédécesseurs, néanmoins, le corps est suspendu, comme de la viande de boucherie, de façon à faire saillir les muscles. Cependant, la coupure par le montage reste réservée aux corps musclés : les héros moins musclés, incarnés par Bruce Willis, Keanu Reeves ou Mel Gibson ne voient ainsi jamais leurs muscles faire l'objet de gros plans.

En résumé, le vêtement-peau masque une peau-vêtement : le dedans et le dehors semblent avoir échangé leurs propriétés. Rambo propose en guise de corps guerrier un corps sculpté par le bodybuilding, artificiel donc, mais dont la peau obsède encore l'image en tant qu'elle est le gage d'une présence héroïque, forte et primitive. Les super-héros ont hérité des fonctions du muscle telles qu'elles ont été définies par l'action : gonfler, se tendre, se faire le réceptacle d'une énergie qui peut être dépensée. Néanmoins, nous verrons dans un chapitre consacré que là où l'Action pose un muscle sur lequel il est possible d'intervenir, aussi malléable qu'un vêtement, les super-héros font passer les propriétés de la peau au vêtement, c‘est-à-dire pour eux au costume. Épiderme et costume, après les années 80, seront amenés à être subsumés par le régime numérique instauré dans les films de super-héros.

- Le muscle surface

Le muscle correspond à un état en volume du corps : quand les muscles sont tendus, prêts apparemment à exploser, c'est un corps plus grand qui est fantasmé. Parallèlement à cet aspect, le corps du héros constitue également une surface d'inscription, et pas seulement pour les diverses coupures dont il peut être la victime. Au-delà du seul trauma physique, le héros devient héroïque en se salissant. Rambo garde son corps imperméable à ce qui le menace, mais comme pour attester de l'authenticité de ses exploits, son corps se fait le témoin des épreuves qu'il traverse. Eau, sable, sang, boue : la peau qui fonctionne comme un vêtement se couvre encore de nouveaux attributs. Cet aspect a parfois été repris sur le mode du gag : si le héros n'est pas blessé par les explosions, il doit se couvrir d'une poussière noire pour attester la nature du danger auquel il vient d'échapper. La salissure tient lieu de preuve, rend compte de l'interaction entre le héros et son espace, et vient même témoigner de la rigueur morale du héros. Tandis que l'espace est balayé d'explosions, le corps du héros est progressivement souillé. Cette double fascination pour le désordre possède un caractère fondamental, selon Siegfried Kracauer. Dans son analyse de la monstration au cinéma, il pose que les films montrent ce qui habituellement ne peut pas être vu, ou qui n'est pas considéré digne d'intérêt :

les réalisateurs ont capitalisé à répétition sur le contraste entre de splendides festivités et leurs mornes conséquences. Vous voyez un banquet à l'écran, puis, lorsque tout le monde est parti, on vous laisse apprécier un moment une nappe froissée, les verres à demi vides, et les plats qui ont cessé d'être appétissants411.

Il y a donc dans le montage qui fragmente le corps, l'anticipation de cet après, de ce moment où celui-ci sera sali par l'exploit. Il ne s'agit cependant pas de n'importe quel type de salissure. Rambo montre déjà, en se salissant, son intimité avec la jungle : il fait littéralement corps avec cet espace sauvage, lui qui utilise un arc, comme les Indiens d'Amérique, pour achever cette symbolique de l'homme primitif. Dans certains cas, la souillure noble du héros est opposée à celle du méchant. Alors qu'ils évoluent dans le même espace, les deux types de personnages n'en recueillent pas les mêmes aspects. Dans Lone Wolf McQuade, une première scène oppose un ranger (Chuck Norris) à un bandit mexicain. Imprégnée de références au western, la scène oppose les deux personnages, en montrant qu'ils ne se salissent pas de la même manière. La saleté du ranger l'oppose d'abord à ses collègues, dont les uniformes repassés les identifient comme des tenderfoot. Chuck Norris porte la barbe, roule dans une voiture tout-terrain poussiéreuse et abîmée par ses multiples déplacements. Ses supérieurs évoquent également la figure du westerner, mais sur le mode du déguisement, tant leurs chapeaux sont immaculés. L'appartenance du ranger McQuade412 à sa terre est constamment rappelée au cours du film : tout d'abord lorsque sa silhouette filmée à contre-jour le confond avec le promontoire sur lequel il se dresse, puis lorsqu'il roule dans la boue, par jeu, avec la femme qu'il aime ; enfin, il est enterré, avec sa voiture, par ses ennemis. Il se tire de ce mauvais pas, et apparaît couvert de poussière. Comme dans le cas de Rambo, la saleté est un indicateur de la proximité du héros avec son environnement. Ce rapprochement participe également d'une métaphore très littérale : le héros n'est pas celui qui parade en costume blanc, c'est celui qui accepte de se salir les mains. Cependant, le méchant mexicain qui s'oppose à McQuade dans la première scène du film est lui aussi sale : son torse nu est couvert d'une pellicule de sueur. Mais dans ce cas, la saleté signifie la lubricité. Cette sudation abondante n'a rien à voir avec les muscles luisants parfois exhibés par les héros bodybuildés : elle appelle les connotations du corps sauvage, qui ne sont positives qu'à la condition où elles sont maîtrisées. Le héros qui se salit revêt ainsi des qualités primitives, mais celles-ci sont toujours compensées par une forme de contrôle. Nous allons ainsi à présent explorer les connotations de ce corps primitif, et nous verrons que si l'homme sauvage semble habiter le héros, son inverse, le corps machinique, n'est jamais loin.

3.1.4 Corps primitifs et machiniques : origine(s) et destin(s) du muscle

- Le corps musclé mythifié

Schwarzenegger possède un corps beaucoup moins exposé à la blessure que celui de Stallone. Pourtant, bien que de façon différente, les apparences des deux acteurs illustrent une même vision du corps, divisé entre un dehors et un dedans hétérogènes. Dans le cas de Stallone, le muscle constitue une membrane fine capable de résister aux catastrophes, mais vulnérable à la coupure. Les scènes de torture qui mettent en scène cette contradiction, en montrant les muscles saillants de l'acteur, accentuent l'idée que ce corps est rempli d'air, qu'il est creux. Certes, les coupures n'ont pas raison du personnage Rambo : mais elles le marquent, intègrent cette vulnérabilité à son corps. Celui de Schwarzenegger, en revanche, n'est jamais à ce point soumis à la torture. La comparaison a souvent été faite, et Jérôme Momsilovic note ainsi :

Surhumain, le corps de Stallone ne l'est jamais qu'en puissance. [C'est] [u]n corps qui, pour emprunter au lexique nietzschéen, est toujours sommé de devenir ce qu'il est413.

Schwarzenegger, lui, apparaît comme "un corps étranger", un "corps-monolithe"414. Cette opposition radicale en termes d'univers visuels - malgré ce patrimoine commun du muscle - n'empêche pas les deux acteurs de présenter un corps pareillement défini, sur le fond, entre dehors et dedans. Chez Stallone, ce principe s'incarne de façon à suggérer le corps du héros comme corps creux. Chez Schwarzenegger, on retrouve cette division qui se manifeste, selon Nicole Brenez, sous la forme du "double intérieur415". Ce modèle est selon l'auteur applicable à nombre de ses films, qui produisent des doubles sous toutes les formes, matérielle (The Sixth Day), mentale (Total Recall), familiale (Twins). Le corps de Schwarzenegger est pourtant si monolithique qu'il semble indivisible. Le spectateur ne le voit pas, contrairement à Sylvester Stallone, acculé, torturé, placé en position de faiblesse. Seul le Terminator, avec son squelette métallique occasionne l'ouverture de ce corps vers son intérieur416 : dans les autres cas, les muscles du colosse restent intacts, massifs et convexes. Ainsi, si Stallone et Schwarzenegger incarnent apparemment les deux emblèmes d'une corporéité assez proche, il apparaît que leurs esthétiques sont opposées417 - car leurs corps sont vécus différemment.

Les débuts d'Arnold Schwarzenegger dans des genres proches de la mythologie (qu'elle soit grecque, romaine, ou tenant de l'heroic fantasy) ont fortement influencé la visibilité de son corps et l'imaginaire qui s'y rattache. Il peut au premier abord sembler que l'aspect péremptoire du genre Action exclut les digressions sur les origines du héros, et plus largement, sur les origines de son corps. En effet, il n'est pas rare de voir surgir un héros interprété par Schwarzenegger, sans que les personnages autour de lui semblent remarquer quoi que ce soit - ce corps hors du commun est bien présent, mais son exception est transparente. Ce phénomène apparaît par exemple dans Raw Deal, dans lequel le physique du policier Mark Kaminsky détonne avec celui de ses collègues, sans que sa différence suscite de commentaire de la part de ces derniers. Dans d'autres cas, en revanche, si le personnage semble sortir de nulle part, c'est le corps qui semble contenir l'origine - du côté du mythe. Nous suivons ici les analyses de Jérôme Momcilovic sur Red Heat (Double Détente):

[Il y a] la naissance-fonte de l'exposition de Double Détente, où le corps est littéralement forgé, la séquence dialoguant de façon surprenante avec le début de Conan le barbare. Il apparaît d'abord dans l'intense chaleur d'un sauna qui a tout d'une fabrique de corps surhumains - plusieurs athlètes, autour de lui, s'entraînent dur sur des machines de musculation, et le premier plan décrivait le foyer d'où le charbon incandescent diffuse sa chaleur. On se croirait autant dans un hammam que dans une forgerie. Le corps de Schwarzenegger est chaud, luisant. Il est projeté dehors, il échoue dans la neige. Le froid durcit alors ce que la chaleur avait alors modelé : la fonte du corps d'acier se termine. Le corps vient d'être forgé, exactement comme l'épée dont on racontait la fabrication au début de Conan, et dont la forme, là aussi, avait été fixée dans la neige418.

Le corps de Schwarzenegger, ramené à sa source symbolique, est donc loin de l'existence textile liée au muscle telle que nous l'avons précédemment évoquée. C'est un corps de fer, dont la souplesse potentielle relève du métal en fusion (fig. 44).

fig. 44.1 fig. 44.2 fig. 44.3 fig. 44.4 fig. 44.5 fig. 44.6

fig. 44 : Arnold Schwarzenegger passe du feu à la neige, et se forge littéralement un corps héroïque dans Red Heat.

Son primitivisme est avant tout antique : c'est la force de Conan, ou l'évocation de la forge qui fait de lui un nouvel Héphaïstos. Le corps de Sylvester Stallone subit un traitement similaire, en termes visuels, quoique la métaphore prenne une connotation plus religieuse. Susan Jeffords remarque ainsi que le personnage de Rambo dans First Blood suit comme "un rituel de purification par le feu et de renaissance par l'eau" ("purification through fire and rebirth through water419"). Même si nous souhaitons nous éloigner des analyses qui rabattent les héros d'action sur des reformulations à peine distanciées du parcours christique, il faut admettre qu'ici l'émergence de l'héroïsme s'associe à une refonte rituelle du corps, mystique pour Stallone, et mythologique pour Schwarzenegger.

Si Schwarzenegger se rapproche d'un être de métal, il associe très fréquemment son corps à ce matériau, cette fois sur un mode technologique : dans Terminator, ses muscles recouvrent un squelette robotique, qu'il peut réparer comme un objet. Conan, tout en s'inscrivant dans un archaïsme du corps, prépare cette définition du corps comme outil : dès les premières scènes, le corps de Conan, esclave, pousse un essieu géant420. Le primitivisme mis en fiction par le corps va donc être couplé avec une multiplicité d’appareillages techniques, faisant ainsi dire à Elfriede Jelinek :

Le corps d'Arnie, artificiel en même temps que naturel, est sur-civilisé, contrairement aux musculatures africaines qu'on voit par exemple sur les photos de Mapplethorpe421.

Schwarzenegger prend ainsi des allures d’homme total, primitif, civilisé et technologique à la fois. Il n’est pas anodin que Schwarzenegger s’illustre à la fois comme Conan, orphelin héroïque aux allures de premier homme et comme Terminator, dont la fonction est de terminer les vies, mais qui symboliquement constitue un être ultime, final, une sorte de dernier homme. Le corps de l’acteur est ainsi doublement hanté par ces questions d’origine et de fin. Pourtant, cette apparente richesse d’associations n’empêche pas ce corps de relever, en dernier lieu, d'une aporie de sens. Jelinek commente plus loin :

Et son corps, le corps d'Arnie, est son uniforme, son insigne. En fait, il est son propre insigne, car il signifie : rien422.

Ce paradoxe, entre un corps où les métaphores se superposent et un corps comme page blanche où tout peut s’inscrire, est loin d’être le seul. La forme de "monolithe" à laquelle le corps de l’acteur semble se rattacher n’empêche pas de le décrire comme instable, atomisé. Denis Mellier note ainsi que "le corps d'Arnold Schwarzenegger s'ouvre, se fend, s'expose, il enfle, se déforme, manque d'exploser423". La seule ontologie possible de ce corps d’Action passe par sa tension entre les extrêmes. Capable de revêtir la constance d’une statue comme l’instabilité d’un composé chimique, Schwarzenegger définit à sa manière le héros comme corps qui peut tout - non tout faire, mais tout signifier, d’une origine primitive à une genèse machinique. Le dénominateur commun de ces éléments, au-delà de la seule versatilité de l’acteur, réside dans une définition du corps comme étant qualifié en amont de l’action, associé à des éléments symboliques et fictionnels forts qui le définissent déjà comme héros.

- Le corps musclé et la machine

Le couplage avec des machines, au-delà du seul exemple de Terminator, constitue tout un pan narratif dans les films d’action de l'acteur. Il ne s'agit pas de n'importe quelles machines, ou du seul squelette mécanique de cyborg : Schwarzenegger associe de préférence sa plastique à des machines-outils puissantes. Cela peut surprendre ; comment un corps aussi fort, qui semble déjà être parvenu à sortir de lui-même, peut-il avoir encore besoin d'être augmenté ? Il est moins étonnant, en effet, qu'un Keanu Reeves assure l'effectivité de son corps en sortant de lui-même, en tendant vers un devenir de "câble électrique424".

fig. 45, 46, 47. : Arnold Schwarzenegger au volant de gros porteurs.

fig. 45.1 fig. 45.2 fig. 45.3

fig. 45 : Arnold Schwarzenegger utilise une pelleteuse dans Commando(1985).

fig. 46.1 fig. 46.2 fig. 46.3

fig. 46 : Dans Raw Deal (1986), l'acteur s'empare d'une dépanneuse et

détruit une salle de jeux.

fig. 47.1 fig. 47.2 fig. 47.3 fig. 46.4

fig. 47 : C'est un bus qui est utilisé pour poursuivre les méchants dans Red Heat - la destruction devient là un dommage collatéral.

Dans Raw Deal, le personnage de Schwarzenegger démonte une salle de jeu clandestine avec une dépanneuse : il anéantit littéralement le lieu, raye son existence de l'espace urbain (fig. 46). À la fin du film, son personnage, Mark, poursuit les méchants de l'histoire sur une zone de travaux : au volant d'un camion, il fait face à une pelleteuse. Dans Red Heat, il se retrouve au volant d'un bus (fig. 47) ; dans Commando, il utilise une pelleteuse pour pénétrer dans une armurerie425 (fig. 45). En somme, il est fréquent de trouver le "chêne autrichien" au volant de gros porteurs : ce corps massif, comme incomplet, trouve encore le besoin de se parfaire. Le surnom n'est pas anodin : il dénote un corps enraciné dans le sol, issu de la Nature, mais tourné vers un devenir machinique, et Terminator pousse même ce déploiement à l'extrême puisque Schwarzenegger y devient lui-même une machine de destruction. Il y a à cet égard une forme de circularité dans le film d'Action, comme l'observe Eric Lichtenfeld qui écrit : "l'image devient surréaliste : nous regardons du hardware utiliser du hardware pour détruire du hardware" ("the image becomes surreal: we are watching hardware use hardware to destroy hardware426").

La mobilisation de véhicules hors échelle, disproportionnés par rapport aux besoins des diverses situations, est en effet associée à la destruction radicale de bâtiments. Cette méthode contredit même le titre d'un de ses films : agir en commando, n'est-ce pas utiliser toutes les ressources de la discrétion pour pénétrer sur le territoire ennemi ? Or, Schwarzenegger fait plus que tuer ses ennemis, il les annihile. Alors que son corps relève d'une inscription mythologique forte427, son action consiste au contraire, à l'aide de véhicules de grande taille, à faire table rase sur un mode machinique. Les véhicules sont le plus souvent des appareils de construction utilisés pour la voierie ou les travaux dans le bâtiment : Schwarzenegger mobilise ces véhicules sur le mode du contre-emploi, pour détruire. Cette destruction prend parfois la forme d'un démontage, qui inverse le récit symbolique de l'origine de son corps : alors que la plastique de l'acteur semble "forgée", ses ennemis subissent des supplices dans des fonderies, et autres usines, dans lesquelles Schwarzenegger ne tue pas mais déconstruit. Ces lieux sont en effet des décors de choix dans les films de l'acteur428. Alors que celui-ci naît métaphoriquement d'une fusion, ses ennemis connaissent de façon symétrique le supplice de la chaleur : ainsi de Bennett dans Commando, qui finit électrocuté dans la chaufferie de sa propriété, et achevé enfin par un jet de vapeur brûlant429. Dans Terminator II: Judgement Day (où l'héroïsme de Schwarzenegger est plus ambigu, voire discutable), l'ennemi T-1000 et le héros connaissent le même sort, fondus ensemble dans un même creuset. Le corps de Schwarzenegger combine donc deux aspects. L'un, sur le mode de la citation, inscrit son physique dans une lignée héroïque, voire semi-divine : c'est le pan mythologique et naturaliste430, qui a valu à Schwarzenegger le surnom de "chêne autrichien". D'un autre côté, ce corps dont la primitivité hérite du péplum et des mythes gréco-romains (tels qu'ils sont relus dans Conan the Barbarian, par exemple) n'est jamais aussi fort que lorsqu'il se couple avec des machines : le primitif mythologique rencontre alors le surhumain technologique. Enfin, alors que ce corps se charge de connotations en convoquant le mythe de la forge, il tend par contre à nettoyer l'espace de son existence et de ses significations : son action a pour visée la table rase, le retour à zéro. Ses muscles incarnent ainsi deux fonctionnalités : visuellement, ils charrient l'imagerie des guerriers mythiques à la Conan, et donc créent un lien historique ; narrativement, ils sont l'agent d'un retour à zéro, d'une nouvelle origine hic et nunc.

Sylvester Stallone a également rencontré, tout au long de sa carrière, ces deux tropes du corps naturel et du corps machinique. Néanmoins, Schwarzenegger incarne de manière très littérale ces deux modèles, qui sont rendus très directement dans l'image. Chez Stallone, la dichotomie est plus souvent évoquée de manière symbolique, mais semble affirmer la même position : le héros se doit d'être sauvage, mais d'une sauvagerie domestiquée. Dès First Blood, le spectateur peut voir Stallone prendre fuite dans la montagne, et s'y fondre. Il construit des pièges, dort dans une grotte, et chasse un sanglier pour son dîner. Dans First Blood: Part II, une même imagerie du bon sauvage est construite : en se battant principalement avec un arc et des flèches, le personnage évoque cette fois les Indiens d'Amérique plutôt que l'homme préhistorique. Nous avons également évoqué la colonne de boue dans laquelle Rambo se fond pour se cacher. Enfin, dans Rambo III, la primitivité de Rambo se fait tribale, lorsqu'il se bat aux côtés des moudjahidins afghans, et partage leurs jeux (à cheval, il attrape un mouton avant ses adversaires). Néanmoins, Rambo n'est pas seulement un bon "sauvage" : s'il refuse d'utiliser les gadgets sophistiqués de Murdoch dans le second film de la franchise, il n'en abandonne pas pour autant toute technologie. Rambo tire à l'arc, certes : mais les pointes de ses flèches sont explosives, et répondent d'un dispositif sophistiqué. Et si les récits s'emploient à ancrer le personnage de Rambo dans son environnement naturel, la promotion des trois premiers films s'est en revanche attachée à détailler les arsenaux employés dans chaque production431. La construction du personnage de Rambo montre que les aspects naturels et machiniques peuvent cohabiter : le héros sort de la terre, mais c'est pour mieux occire ses ennemis - car si Rambo, contrairement au Terminator, n'expose jamais de squelette métallique, il se définit tout autant comme une machine à tuer432. Chez Rambo, enfin, ce conflit entre nature et technologie, entre primitivisme et maîtrise, se construit de manière interne, pour former l'image d'un " "bon sauvage" high-tech433". Le buddy movie, en s'appuyant sur l'association de deux personnages, extranise ce conflit. Dans Tango & Cash, l'aspect sauvage de Cash (Kurt Russell) est contrebalancé par le style apprêté de Tango : ces deux corps extrêmes associés fonctionnent comme les deux pôles entre lesquels le héros se doit d'exister. On retrouve cette dichotomie dans Lethal Weapon ; c'est paradoxalement l'homme blanc (Mel Gibson) qui charrie une énergie débordante, excessive, tandis que son partenaire Afro-Américain (Danny Glover) est un parfait père de famille, sage et mesuré. Nous pouvons observer ici que ce régime d'oppositions comporte en réalité trois termes : l'homme sauvage, l'homme domestiqué, et la machine. Nous laissons ici l'opposition entre les deux premiers termes, puisque nous la retrouverons dans un prochain chapitre, pour revenir et conclure sur la corporéité impossible d'Arnold Schwarzenegger.

- Le corps musclé décalé

Nous avons vu précédemment que Schwarzenneger possède un corps primitif, dont l'origine est connectée à la forge. Le corps de l'acteur peut également, à la manière de Stallone dans First Blood: Part II fusionner avec le décor : c'est la ligne de Predator, dans lequel un Schwarzenegger couvert de boue se bat contre un extra-terrestre aux propriétés de camouflage hors du commun. Ici, le héros doit ne faire qu'un avec son environnement, à la manière de Rambo fondu dans une colonne de glaise pour surprendre son ennemi. Néanmoins, cet exemple fait plutôt figure d'exception, car Schwarzenegger présente le plus souvent une corporéité décalée, "bigger than life", et instaure du coup un rapport d'échelle déséquilibré au monde. James Cameron, qui a dirigé l'acteur à deux reprises, pointe les difficultés posées par ce corps exceptionnel :

Avec Arnold, le film est devenu hors-normes. Je me suis retrouvé sur le plateau, à faire des choses que je n'aurais pas pensé faire - des scènes qui devaient tenir de l'horreur, et qui ne le pouvaient pas, parce qu'elles devenaient trop extravagantes434.

En somme, le corps d'Arnold Schwarzenegger n'est adéquat pour l'action héroïque qu'à la mesure de son inadéquation, tant son corps, par son échelle, sa mesure, semble voué à être décalé - ce qu'enregistrent les récits qui lui offrent souvent une origine mythique, mystérieuse ou artificielle.

Ainsi, dans Commando (film dont le titre n'est programmatique que sur le mode du contre-pied), Schwarzenegger incarne John Matrix, un ancien militaire dont la fille est kidnappée par une équipe de malfrats au service d'un dictateur sud-américain en exil. Ce dernier espère le forcer à tuer le dirigeant légitime d'un pays inconnu pour prendre sa place. Matrix prétend obéir, mais s'échappe avant son embarquement vers l'Amérique du Sud et va méthodiquement remonter la chaîne de ses ennemis pour les exterminer un à un et sauver sa fille. Le sauvetage proprement dit a lieu dans la riche propriété d'El Presidente : cette localisation nous sort de la jungle du film de guerre (dont hérite l'Action), mais nous extrait aussi du milieu urbain, l’autre décor de choix du genre. La rupture est particulièrement manifeste dans la rencontre du corps, tel qu'il est harnaché, avec son environnement. En effet, Schwarzenegger est équipé comme un soldat pour la guerre : nombreuses armes à feu, mitraillettes, grenades, lance-roquettes et autres armes d'assaut. La première phase de l'attaque consiste à détruire des avant-postes protégeant la propriété - jusque là, nous sommes encore dans l'imagerie de guerre. Puis, une fois sur les terres d'El Presidente, un décalage s'opère: Schwarzenegger se bat littéralement au milieu des roses. Conformément au titre, c'est bien une opération militaire qui se déroule : mais par son inscription, elle prend un sens différent.

fig. 48.1 fig. 48.2 fig. 48.3 fig. 48.4

fig. 48 : Un corps impossible, contextualisé de manière improbable dans Commando.

Placer Schwarzenegger, torse nu et bardé de grenades, à côté de rosiers taillés relève d'une combinatoire fantaisiste qui ne fait qu'amplifier une qualité intrinsèque du corps de l'acteur435 (fig. 48). Pour autant, on ne se situe pas encore au niveau de l'ironie qui caractérisera Last Action Hero : le film ne détourne pas un poncif, il l'inverse. Aux étendues que constituent le désert ou la jungle, Commando substitue un espace ouvert et quadrillé, ordonné et presque kitsch. Le décalage ne s'arrête pas là : la propreté du jardin (éphémère, étant donnée l'arrivée du colosse) justifie même la présence d'une cabane de jardin, dont les usages vont être multiples. Elle lui sert de refuge alors qu'il est blessé436, mais surtout lui fournit une série d'outils dont le détournement - comme précédemment celui des machines-outils - va lui permettre de se défendre lors de corps à corps avec ses ennemis. C'est un autre poncif du film d'action : le lieu fortuit d'un combat va fournir tous les accessoires nécessaires à des mises à morts douloureuses et spectaculaires. Ainsi, Stallone se bat dans une cantine dans Tango & Cash en utilisant bains de friture et broches pour occire ses ennemis. Dans Commando, ce topos quelque peu anecdotique va achever de signaler l'étrangeté du corps héroïque. Ainsi, Schwarzenegger va d'abord planter une fourche dans la poitrine d'un premier soldat, puis en scalper un autre au moyen de la roue dentée d'une scie circulaire, utilisée comme un boomerang. Puis, il empale un nouvel ennemi avec une pioche, avant de couper le bras d'un dernier malheureux avec une machette. Cette séquence joue le rôle d'intermède, et rappelle dans ses modalités la comédie musicale. Dans ce genre, le continuum narratif s'interrompt437 en effet le temps d'une séquence chantée et dansée, et il est fréquent de voir les personnages s'emparer d'objets, dont la présence est par ailleurs justifiée par le récit, pour agrémenter la performance. Pensons seulement au numéro de Celeste Holme et Frank Sinatra dans High Society (Charles Walters, 1956) : en chantant "Who Wants to Be a Millionaire?", les deux personnages incarnés par les acteurs s'approprient les objets luxueux disposés ça et là sur la table d'un buffet. Ces objets s'intègrent au numéro, en permettant des poses (Sinatra détourne deux coupes de champagne, pour en faire des jumelles), des actions (Holme empêche Sinatra de chanter, en le nourrissant de caviar), des changements de registre musical (un éventail devient le prétexte à un numéro de claquettes) et des ponctuations sonores (le son d'un couvercle sur un récipient, la voix de Holme amplifiée lorsqu'elle chante dans une soupière). L'exemple peut sembler fort distant du sujet qui nous préoccupe, et la liste des écarts de genre et de style serait fournie. Mais fondamentalement, une distinction retient notre attention : ici, les objets sont directement liés au propos du film et plus spécifiquement du numéro, qui affirme la vanité des possessions matérielles utilisées et les détournant de façon effrontée, à la manière d'un jeu d'enfant. Dans Commando, l'usage des objets trouvés est tout aussi fortuit sur le plan de l'action (les objets sont là, ils doivent être utilisés), que sur le plan du sens (l'usage des outils des jardin relevant d'une certaine gratuité).

Le procédé permet néanmoins de rompre la monotonie du champ/contrechamp occasionnée par les séquences de tirs, et l'usage unique d'armes à feu. Celles-ci retournent au centre de l'Action, lorsqu'à l'issue de ce passage, Arnold reprend sa course dans les rosiers. La présence musculaire de Schwarzenegger, beaucoup plus que celle de Stallone, suggère donc un impossible teinté d'absurde : la limite n'existe pas seulement du côté de l'exploit, mais aussi à l'intérieur d'un impensable qui est ici rendu plus visible par le rapprochement cocasse avec les rosiers ou les accessoires de jardinerie. Le "tout est possible" de ce corps est poussé dans ses retranchements avec Junior, qui introduit un Schwarzenegger "enceint" : cette limite absurde illustre bien le ton des films des années 90, qui font quasiment tous feu de cet humour métanarratif en éclipsant le personnage pour mieux laisser voir Arnold acteur d'action. En insistant sur l'aspect improbable de situations mettant en scène un corps qui l'est tout autant, Commando "normalise" certaines scènes pourtant touchantes d'artificialité. Ainsi, le spectateur qui a ricané à la vue de Schwarzenegger s'appliquant, en souriant, à nourrir un faon avec sa fille (Alyssa Milano) verra ce sentiment de décalage se renforcer à la fin du film : l'acteur porte bien l'Action à son niveau d'impossible, mais celui-ci touche à la fantaisie plus qu'au spectaculaire : le merveilleux de l‘Action rejoint celui du bonheur familial (fig. 49).

fig. 49

fig. 49 : Un décalage permanent, quand l'impossible de l'Action croise celui du bonheur familial dans Commando.*

L'apparence musclée de Schwarzenegger passe ainsi d'une existence héritée de la mythologie antique à celle d'un corps auquel on ne peut pas croire. Verhoeven appuie d'ailleurs lui aussi sur cet aspect impossible, dans une scène de Total Recall. Il s'agit une fois encore d'une scène de camouflage, qui justement appuie sur une limite du corps de Schwarzenegger, en s‘interrogeant : comment un colosse peut-il se cacher ?

fig. 50.1 fig. 50.2 fig. 50.3 fig. 50.4 fig. 50.5

fig. 50 : Un corps se révèle le contenant d'un autre - seul un corps obèse peut contenir la plastique d'Arnold Schwarzenegger dans Total Recall.*

Dans l'univers de science-fiction qui est celui de Total Recall, il est possible pour le personnage de Quaid de se dissimuler dans un corps plus grand, un corps-costume qui prend la forme d'une grosse dame (fig. 50). Schwarzenegger n'est donc pas déguisé, il est habillé par un autre corps qui l'avale entièrement, avant de se détraquer et de peler sous les yeux de ses poursuivants. Une telle scène contribue à définir le corps de Schwarzenegger tel que la scène des rosiers l'avait posé : ce corps existe par le muscle, par l'exhibition de ce muscle. Celui-ci est trop visible - il semble dévorer les plans dans lesquels il s'inscrit - et manifeste donc sans cesse son impossible. Ce corps est si imposant que les films qui le mettent en scène reviennent fréquemment sur la nécessité de sa division ou de sa reproduction, en le faisant enfanter dans Junior, ou en lui accolant un jumeau disgracieux (Danny de Vito dans Twins).

En affirmant contre vents et marées l'existence de ce corps trop grand qui ne coïncide avec rien, les films d'Action divergent de la seule violence à laquelle on les associe souvent pour se rapprocher d'une pensée magique. Ainsi, le muscle est tout aussi fantasque que l'usage des outils de jardin, qui se succèdent comme sortis d'un chapeau. Mais le ridicule est ici assumé, et forme un pendant paroxystique à une autre limite du corps, elle située de façon plus prévisible du côté de l'exploit.

- Le corps musclé dénudé

Nous avons jusqu'à présent écarté l'érotisme éventuellement associé au muscle, mais l'ambiguïté du rapport à la peau que nous avons analysé laisse entrevoir la difficulté de cette rencontre. A priori, la muscularité des héros bodybuildés pourrait laisser supposer que ces corps sont désirables et peuvent susciter le désir du spectateur. Pourtant, il s'avère que non seulement le héros musclé n'est pas érotique, mais qu'il va même à l'opposé d'une telle connotation. Pourtant, le corps musclé incite à la nudité : autant les super-héros montrent leur muscles sous un costume-peau, autant le genre Action repose sur la visibilité du muscle en tant que tel, souvent huilé comme dans les concours de culturisme, ou recouvert de sueur, poussière et sang. À première vue, ces héros n'ont de toute façon pas le temps pour une scène érotique qui constituerait un écart hors de leur trajectoire. Dans les actioners des années 80, le corps masculin est érotisé, mais cette érotique est rarement actualisée dans le cas des deux acteurs emblématiques. La femme est inexistante (First Blood, Red Heat), ou mise hors-jeu très tôt dans le récit (Rambo: First Blood Part II, Collateral Damage). Dans le cas de Schwarzenegger, les personnages féminins qui l'accompagnent sont souvent des mères, à l'intérieur de ces scénarii "familiaux" développés dans les années 90 et après (True Lies, The Sixth Day). En somme, les personnages féminins sont plutôt présents pour tempérer l'érotique des corps de Stallone et de Schwarzenegger, en affirmant leur hétérosexualité. Ainsi, le personnage de John Matrix dans Commando nouera une relation avec une femme, mais comme souvent dans l'Action, son développement est laissé à l'après du film. Il s'agit moins dans ce dernier film de trouver une femme qu'une mère pour sa fille qu'il vient de sauver des malfrats.

Nous avons précédemment évoqué la lecture de ces corps par la critique gender. Celle-ci revendique l'idée que ces corps sont bien érotiques, ce qui les expose à une certaine équivoque. Les héros puissants, qui dominent leur environnement par un regard tout puissant deviennent, dans les actioners des années 80, des objets pour le regard du spectateur438. Ainsi exposés, selon des modalités qui de fait concernaient jusqu'alors surtout des femmes, ils seraient féminisés, ou à tout le moins, la représentation ouvrirait une brèche à l'incertitude quant à l'identité sexuelle des personnages. Que ce soit pour désamorcer les aspects homoérotiques de ses propres représentations ou non, il faut constater que le film d'Action impose un héros biface, à la fois auteur d'une action destructrice, par le corps, et objet d'un regard fasciné par les qualités de ce corps. Les actioners alternent ainsi les scènes de fusillades, au rythme du champ-contrechamp, des vues des ennemis qui tombent et du héros toujours debout qui génère les rafales meurtrières avec une arme imposante. En plan américain ou rapproché, le héros est alors vu en plein effort. Un autre topos consiste à faire se succéder des gros plans courts des muscles, de leur plis, jusqu'à voir les gouttelettes de sueur perler sur la peau. Un aller-retour s'opère ainsi entre des démonstrations de force (traditionnellement codées comme masculines) et une mise en spectacle du corps, à d'autres fins que l'examen de ses capacités hors normes.

La scène d'équipement du héros, précédemment commentée, occasionne donc fréquemment un premier déshabillage qui le laisse en débardeur (souvent de couleur blanche) - celui-ci pouvant au choix faire partie de l'action (jusqu'à devenir emblématique, comme dans Die Hard, mais aussi dans The Rock) ou être combiné à d'autres éléments (un blouson de cuir pour Arnold Schwarzenegger dans Raw Deal et Stallone dans Cobra). Ce débardeur blanc, récurrent dans le film d'action, est un moyen terme, qui permet à des acteurs musclés mais pas bodybuildés (Keanu Reeves dans Speed, Bruce Willis) de montrer leur musculature sans être nus. Ce vêtement n'est pas vierge de connotations : il renvoie directement à la masculinité sauvage et excessive de Marlon Brando dans A Streetcar Named Desire (Elia Kazan, 1951, en fig. 51).

fig. 51.1 fig. 51.2

fig. 51 : Marlon Brando associe le débardeur et le tee-shirt à un modèle viril dans A Streetcar Named Desire (1951).
fig. 52 : Tee-shirts et débardeurs dans le film d'action : des éléments iconiques.*

fig. 52.1

fig. 52.1 : Keanu Reeves dans Speed (1994).

fig. 52.2 fig. 52.3

fig. 52.2 et fig. 52.3 : Sylvester Stallone dans Rambo: First Blood Part II (1985).*

fig. 52.4 fig. 52.5

fig. 52.4 et fig. 52.5 : Bruce Willis dans Die Hard: With a Vengeance (1995).

Pour autant, les héros d'action ne semblent pas hériter de la charge érotique contenue par la persona de Brando.

La récurrence de ce vêtement a été observée, notamment par Jeffrey Brown dans un article consacré aux héros d'action dans leur relation au genre. Il observe :

[Le] maillot de corps noir est visible lorsqu'il porté par Stallone dans la série des Rambo, Bruce Willis dans Die Hard, ou encore par des femmes musclées et masculines, telle que Linda Hamilton dans Terminator 2 et Rachel McLish dans Aces: Iron Eagles III. Ce maillot de corps noir, qui est devenu l'habit standard dans le genre, est fonctionnel dans sa capacité à révéler le corps du héros. Le maillot est très littéralement un maillot de muscles, qui expose le corps gonflé du héros ou de l'héroïne439.

Ce débardeur blanc ou noir tient du cliché du film d'action et permet de "fixer" l'identité du personnage, de la signer, à la manière du chapeau de cow-boy ou du costume du gangster (fig. 52). Au-delà de ce faire-image, le débardeur présente une ambiguïté, puisqu'il habille autant qu'il dévoile : il représente un pas de côté par rapport à l'image du bodybuilder, qui s'expose quant à lui torse nu, mais semble aussi, paradoxalement, ajouter à la muscularité du héros : c'est le sens du "muscle shirt", ici évoqué. Devenu vêtement, le muscle va jusqu'à se confondre avec la parure qui l'habille.

Nous retrouvons ici cette ambiguïté entre spectacle de l'exploit (masculin) et spectacle du corps (féminin), cette fois appliquée au muscle. Le muscle est plus visible quand la peau est nue, mais fonctionne aussi comme processus de voilement, puisque qu'il fonctionne comme vêtement. Ce muscle se suffit donc à lui-même pour les acteurs plus volumineux, et il est fréquent de voir Stallone et Schwarzenegger torse "nu" : car le muscle démesuré, nous l'avons vu, habille. Le héros musculaire, en exposant son corps, s'expose à une érotisation et objectification de sa personne ; en même temps, la forme renouvelée du muscle dans le film d'action correspond à une absentéisation de la nudité (le muscle habille) mais ne suscite pas le désir comme le ferait un véritable habit (on ne peut pas désirer savoir ce qu'il y a sous le muscle, puisqu'on le sait). Les acteurs semblent d'ailleurs conscients de ce devenir-vêtement du muscle : dans Pumping Iron, Schwarzenegger parle "de mettre plus de deltoïdes440", mais évoque aussi son corps comme une sculpture d'argile441 : la pensée du corps comme statue, ou comme masse à habiller, semble presque à la vue du documentaire préexister à sa mise en image dans les films d'Action.

Le problème inverse de la mesure de la nudité s'est posé au cinéma classique. Selon Éric de Kuyper, alors que la visibilité du corps féminin était très réglementée par le Code Hays en raison de sa suggestivité, la nudité masculine était plutôt occultée à cause de son ridicule potentiel442. Le code réglait la taille des décolletés et des échancrures, de façon à limiter l'attrait du nu féminin. À l'opposé, la nudité masculine lorsqu'elle apparaissait était vite teintée de comique : il en va ainsi, par exemple, de la peau rendue visible entre la chaussette et le bord du pantalon443, dont la révélation accidentelle ne se fait pas le relais d'un quelconque désir. Les héros sont donc rarement mis à nu (même partiellement), pour éviter le ridicule ou la féminisation qui pourrait accompagner ce processus. Revenons momentanément au westerner, et à l'une de ses figures, John Wayne : il faut constater que le torse de celui-ci apparaît rarement. Cependant, la force symbolisée par cette partie du corps est bien suggérée, mais dans le langage, notamment lorsque Ethan Edwards est surnommé "Big Shoulders444" (The Searchers).

La nudité partielle qui existe dans le film d'action, si elle fait preuve d'une acceptation plus grande par rapport à la représentation du corps des hommes, ne s'expose que selon certaines modalités. Elle est toujours partielle, et revient dès lors à couper le corps en deux. Cettenudité est donc celle, exclusive, du torse et fait donc écho au couvrement a contrario des jambes. Là aussi, le corps du héros rejoint une visibilité de figurine, d'action figure, tant la typologie est récurrente : nous la trouvons aussi bien chez Rambo, que dans la plupart des films de Schwarzenegger, pour la retrouver chez Hulk. Ce dernier détruit toujours ses vêtements en se transformant, sauf le pantalon, qui, même réduit à quelques haillons, s'accroche encore au corps. Il est très rare que le bas du corps se découvre, et quand cela arrive, cela se déroule dans un temps très court : Schwarzenegger porte ainsi un slip de bain pour accoster sur l'île où sa fille est retenue captive (dans Commando) : mais très vite, une "scène d'équipement" redonne au corps sa visibilité familière, entre torse nu et pantalon opaque445. Ce couvrement minimal ne semble d'ailleurs possible qu'en raison du passé de bodybuilder de l'acteur : le slip de bain renvoie ici au domaine sportif, pas à celui, plus ambigu, du sous-vêtement. De Kuyper pose quant à lui que cette exposition prolongée du torse constitue un héritage de la fascination pour la poitrine féminine :

Le décolleté sera donc un des grands thèmes de l'iconologie érotique hollywoodienne. Il reviendra hanter l'image en miroir du corps masculin, qui, tout en affirmant d'autre part avec force que cette poitrine-là est "vierge" de toute tabouisation, ne pourra cependant s'empêcher de faire appel à un genre d'artifice équivalent : c'est le torse nu, l'érotisme du beef-cake446.

Si l'auteur parle d'érotisme, nous trouvons, à l'endroit de notre étude sur les héros, que la notion fait problème. Le terme même de "beef-cake" complique l'idée d'érotisme, pour évoquer un attrait carnassier, voire obscène.

Quand à la dissimulation des jambes, elle peut être expliquée de différentes façons. Si nous suivons l'analyse de De Kuyper, les jambes des hommes au cinéma revêtent davantage une connotation comique. Logiquement, on les voit moins souvent nues quand il s'agit de valoriser héroïquement un personnage. De plus, les jambes d'un acteur sont un indice de sa taille réelle, que le plan américain permet de dissimuler lorsque celle-ci est considérée comme insuffisante447. Cependant, le pantalon est nécessaire pour des raisons qui dépassent ces considérations. Ce vêtement, parfois sommaire, permet également de rendre au muscle un peu de sa nudité. Seul le contraste entre le muscle luisant et l'opacité du bas du corps parvient à rendre son aspect nu à un torse qui ne l'incarne plus - tant il est devenu vêtement (fig. 53). Ainsi, alors que le muscle perd le corps, la proximité d'un vêtement sombre permet de compenser cette perte de tangibilité.

fig. 53.1 fig. 53.2

fig. 53 : La nudité des héros masculins se limite souvent au torse - Hulk est exemplaire de cette tendance, ici dans la version d'Ang Lee (2003).*

Les muscles, bien qu'ils obsèdent le film d'Action au point d'en constituer une signature, sont absorbés dans une visibilité plus générale du corps comme figurine448. Soustrait à l'effort physique que ses muscles sous-tendent, le corps héroïque du film d'Action est moins moteur de cette Action que fonction d'un mouvement. Restent les muscles, l'esthétique du torse nu associé au pantalon, qui permettent de garder un semblant de continuité entre le héros et son corps : avant d'être en action, le héros utilise son corps pour l'identification.

Le muscle fait donc partie d'une série d'éléments - explosions, environnement urbain, exploits - qui constituent l'iconographie d'un genre, même s'ils existent isolément en dehors de celui-ci. Nous avons traité du muscle bodybuildé comme d'un pan possible dans le vocabulaire visuel de définition du héros, et il nous faut donc nous demander ce qu'il advient des corps moins musclés, voire non musclés dans le genre Action. Par moins musclés, nous entendons les corps des personnages interprétés par Bruce Willis, Tom Cruise, Keanu Reeves, etc. Il en effet beaucoup plus rare que le héros ne soit pas musclé du tout, même si les acteurs cités ci-dessus présentent des corpulences et des morphologies différentes. Pour le moment, nous nous concentrerons sur ces corps qui sont plus évidemment héroïques, mais dont le traitement du muscle rompt avec les présupposés du muscle bodybuildé comme nous les avons précédemment exposés, voire, devient secondaire. Il s'agit donc de saisir les corps dans leur entier, de ce qui peut les affecter, les habiter - et pas seulement de ce qu'ils incarnent. Si le muscle parvient à faire corps, que peut le corps sans le renfort systématique du muscle hyperbolique ?

3.2 Au-delà du muscle, d'autres états possibles ?

3.2.1 Corps caoutchouteux et punching-balls

John McClane (Die Hard) est souvent décrit comme un anti-héros ; pourtant, il effectue bien le programme héroïque, conformément aux règles du genre. Dans le premier film, McClane parvient à sauver les otages des terroristes grâce à une série d'exploits physiques dont l'improbabilité n'a rien à envier aux films de Stallone ou Schwarzenegger. Si McClane peut être considéré comme héros, à condition de moduler cette qualification par le terme "anti", c'est parce que tout dans son action, fût-elle extraordinaire, s'accompagne d'une souffrance du corps. Cette souffrance est exposée, contemplée, et contrairement à un Rambo qui subit la torture (Rambo: First Blood Part II) de manière noble, en goûtant sa douleur, McClane semble meurtri par cette perpétuelle agression physique. La scène célèbre où il doit, pour échapper aux balles de ses poursuivants, courir pieds nus sur un sol jonché d'éclats de verre est exemplaire de cette résignation qui maille le parcours du héros (fig. 54).

fig. 54.1 fig. 54.2 fig. 54.3

fig. 54.4

fig. 54.5 fig. 54.6

fig. 54 : John McClane vit un véritable supplice dans Die Hard : ses pieds sont coupés, puis doivent servir à détruire une nouvelle vitre, plus tard dans la narration.*

Ce dernier ne risque pas seulement la mort par les balles, ou les coups : chaque instant du parcours, y compris le plus simple déplacement, devient un calvaire. Celui-ci est amplifié par la scène qui fait suite à la course, où McClane, tout en parlant avec son contact à l'extérieur de la tour, entreprend d'extraire le verre de ses pieds ensanglantés. Le corps génère son lot d'exploits, mais doit en retour souffrir, d'une douleur qui dépasse celle de l'effort : l'Action brutalise le corps, sur d'autres modes encore que celui de la seule compression.

Celle-ci appartient en fait à un traitement plus général du corps : alors que les corps de Stallone et Schwarzenegger, malgré leurs différences, sont des solides dont il faut garder l'intégrité, le corps de Bruce Willis en McClane, lui, tient du corps caoutchouteux. Tel le roseau qui plie mais ne brise pas, McClane encaisse tous les chocs : il absorbe plus de coups qu'il n'en donne. Ce principe tend même à ridiculiser la figure du héros, dès lors que tout exploit se retourne en farce. Ainsi McClane, pour échapper à une explosion, se jette du haut d'un immeuble, la taille ceinte par une lance à incendie. Ce harnais de fortune ne cède pas : cette improbabilité-là tient de l'exploit. Cependant, alors que McClane échappe ainsi à la mort, la gravité l'attire contre la paroi vitrée de l'immeuble. Son corps s'écrase alors avec un bruit sourd, grotesque : le héros n'est pas mort, il continue d'avancer, mais pour cela, il a dû se cogner encore, voir la grandeur de son exploit immédiatement retournée. Et la situation est appelée à se répéter : pour retourner dans l'immeuble, il doit casser la vitre contre laquelle il vient de se cogner, avec ses pieds toujours ensanglantés. Le corps devient ainsi une sorte de punching-ball, que tous les éléments du film vont s'appliquer à frapper : ville, ennemis, tous semblent ligués contre le corps du héros. La critique Manola Dargis observait déjà :

Dans les films d'action hollywoodiens tels que Die Hard ou Lethal Weapon, le héros est meurtri mais jamais vaincu : tel un clown en plastique gonflable, il rebondit et en redemande avec un sourire idiot449.

Cependant, de façon remarquable, le corps de McClane souffre avant la série d'événements qui fait de lui un héros. Dès son arrivée à Los Angeles, il semble mal supporter son voyage en avion, et applique les conseils d'un autre passager pour se détendre. Ce corps ne souffre plus, il est intrinsèquement souffrant.

Au fur et à mesure des films, cet aspect s'affirme et culmine dans le troisième volet de la série. Dans ce dernier (Die Hard with a Vengeance, 1995) McClane n'est pas surpris par l'action, qui le cueille dans le lieu où il se trouve de façon fortuite (la tour Nakatomi dans Die Hard, l'aéroport de Chicago dans Die Hard II). La police vient chercher McClane car un terroriste réclame sa présence, sans quoi il déclenchera des explosions au hasard dans la ville de New York. Du début à la fin du film, McClane n'a de cesse de se plaindre d'un mal de tête, résultat de ses frasques de la veille. Ce mal de tête est fréquemment rappelé dans le discours de McClane, qui, comme toujours, se veut un flot ininterrompu, et devient donc une partie intégrante de son fonctionnement. L'exploit s'associe à la souffrance physique, mais semble aussi dépendre d'elle, paradoxalement. Le corps du héros est héroïsé malgré cette souffrance fonctionnelle, qui va de pair avec les qualités surhumaines mobilisées par l'exploit.

Ainsi, le personnage, s'il veut infliger une quelconque douleur à ses ennemis, doit d'abord la vivre dans sa propre chair. Mais la douleur peut prendre deux formes : dans le cas du verre coupant les pieds nus, elle rejoint une forme expiatoire qui n'est pas si éloignée de la torture au couteau endurée par Rambo (Rambo: First Blood Part II) ; en revanche, le mal de tête inverse l'aspect paroxystique de la douleur du héros, car il s'agit du mal le plus commun, une souffrance d'homme normal. Il se substitue à la "grande" douleur dans la hiérarchie des souffrances subies par le héros. Ainsi, le John McClane de Die Hard With a Vengeance est ligoté avec son sidekick Zeus (Samuel L. Jackson) à une quantité terrifiante d'explosifs et doit se libérer en un temps limité450, mais il pense avant tout à demander une aspirine à son ennemi. Ce mal de tête, cité régulièrement, participe d'un comique de répétition, mais renverse également l'ordre de grandeur qui organise traditionnellement le film d'action. Le récit expose le déséquilibre un corps, qui tout en restant parfaitement capable de se surpasser, fonctionne sur la base d'une douleur et de l'expression de cette douleur - car la référence au mal de tête vient alimenter la logorrhée de John McClane.

Plutôt que de parler dans ce cas d'anti-héroïsme - puisque le programme essentiel, alimenté par l'exploit, continue d'être effectué - nous préférerons interroger le sens d'un corps héroïque qui maintient son héroïsme hors d'une efficience totale du corps. Certains héros possèdent des corps tout entiers orientés vers une efficace du geste, et nous avons analysé la figure de Schwarzenegger dans ce sens. Or, un personnage peut-il se révéler héroïque s'il possède un corps malade, ou un corps qui n'est pas tout entier tourné vers sa fonctionnalité ? Nous ne parlons pas ici d'un malade dont le combat contre la maladie tient de l'héroïsme, comme dans Philadelphia (Jonathan Demme, 1993), mais d'un héroïsme qui conserve son exigence de surhumanité malgré un corps malade - voire avec ce corps malade. Dans les études cinématographiques françaises mettant l'accent sur le corps du personnage en général, la maladie, ou pathologie, est souvent convoquée comme filtre d'analyse. Si la capacité fondamentale du cinéma est "d'enregistrer des corps451", lesdits corps semblent préférer des formes dysfonctionnelles, malades ou monstrueuses.

Antoine de Baecque explique en effet :

La propriété ontologique et définitive du cinéma est d'enregistrer des corps. Raconter des histoires à partir de ces corps revient à les rendre malades, monstrueux, et, parfois dans le même temps, infiniment aimables et séduisants452.

Nicole Brenez lui fait par ailleurs écho :

À prendre pour repère une formule de Freud qui date du début du siècle, "celui qui est malade dans son corps n'est possible sur la scène que comme accessoire, non comme héros", il apparaît avec toujours plus de clarté, aujourd'hui que les personnages sont en masse structurés par une pathologie quelconque - à commencer par l'athlète, dont la signification s'est complétement inversée depuis son interprétation classique comme bella figura, que l'histoire de la représentation du corps trouve dans la conquête visuelle de la maladie l'une de ses voies royales453.

L'idée d'un corps héroïque et malade à la fois peut sembler contradictoire. Il semble cependant, selon Nicole Brenez, que la maladie peut être structurelle : l'héroïsme doit alors s'en arranger. Nous allons ainsi, en repérant les figures divergentes de la maladie chez le héros, nous demander si le héros peut être malade, et plus encore, s'il existe un héroïsme qui repose sur la maladie, voire même qui soit maladie. L'héroïsme comme pathologie pourra ainsi former une tendance du cinéma d'action plus récent.

3.2.2 L'hypertension : présence du corps

Nous avons vu que les héros d'Action sont souvent qualifiés de "nouveaux cowboys", dans le sens où l'Action prolongerait par son programme l'idéologie de l'Ouest et l'héroïsme qui s'y rattache. Toutefois, la maladie est un thème rare dans le western454, qui lui préfère une faiblesse issue du vieillissement des corps. À l'inverse, le film d'Action exclut le plus souvent les corps âgés, vieillissants, mais compte une variété de corps malades. Dans le cinéma d'Action des années 80, ce phénomène est encore rare - la souffrance psychologique issue du traumatisme de guerre chasse la pathologie hors du corps, pour ramener une douleur exogène, du côté du masochisme et de la torture (Rambo dans First Blood). Dans Escape from New York et sa suite Escape from L. A., on trouve cependant les premières occurrences d'une Action associée à la maladie. Snake Plissken (Kurt Russell), héros anarchiste, refuse de se plier à sa hiérarchie pour accomplir une mission. Pour l'y contraindre, les autorités lui injectent la souche d'une maladie foudroyante qui fera effet dans les vingt-deux heures. Dans le premier film, le virus est réel et Snake est sauvé à la dernière minute, tandis que ce dernier découvre dans Escape from L. A. qu'on lui a menti, et que le prétendu virus n'était qu'une simple grippe. Dans ces deux cas, plutôt isolés, la maladie sert à motiver l'action. L'obtention d'un remède devient la seule motivation de Snake Plissken, un anarchiste qui se refuse à aider les représentants d'un gouvernement qu'il méprise. Le virus est alors une version organique de la bombe, si souvent convoquée dans le film d'Action à qui elle imprime la structure du compte à rebours. Dans le cas des deux films de Carpenter, la maladie structure donc le film selon un motif connu qu'elle détourne, mais sans se manifester en tant que telle par le biais d'un symptôme. Notre attention se portera précisément sur ces symptômes et autres signes de maladie - c'est par là que nous avons introduit ces questions de fonctionnalité du corps, en analysant la fonction du mal de tête chez John McClane. Ainsi, alors que Snake Plissken est malade sans l'être, les autres personnages emblématiques du cinéma d'Action embrassent la douleur, mais évacuent la maladie. La douleur acceptée doit faire souffrir le corps, non l'amoindrir ou toucher ses capacités. Rambo peut être blessé, par exemple par une balle qui le traverse de part en part : mais toute blessure vient de l'extérieur, et s'envisage sous l'angle de la réparation (tel Rambo qui recoud son corps comme un vêtement). Quel est l'horizon du corps héroïque, dès lors que celui-ci se fonde sur son inverse ?

Les récents Crank (en français Hypertension, 2006) et Wanted (2008) proposent tous deux une vision du corps héroïque pathologique. Dans le premier cas, il s'agit encore cependant d'un cocktail de médicaments qu'un malfrat injecte au héros Chev Chelios (Jason Statham). Le poison tue son porteur dès que ce dernier voit son taux d'adrénaline baisser : le héros doit donc s'engager dans une course perpétuelle, et maintenir son excitation (par la violence, les drogues, ou les rapports sexuels) afin de ne pas mourir. Il s'agit au fond d'un scénario très proche de Speed - toutefois, le corps internalise ici l'exigence de vitesse. Alors que Snake Plissken incarnait le porteur silencieux d'une maladie qui ne se manifestait jamais, le corps de Jason Statham tout entier devient ici un symptôme. Le film emprunte largement à une esthétique proche du clip, multipliant des vues elles aussi atteintes par cette "hypertension" généralisée : le cadre n'est jamais fixe, rarement orthogonal par rapport au sol ; les split-screens et transitions brutales articulent les scènes. Parmi la débauche d'effets que le film déploie par mimétisme avec le corps de son héros, nous retiendrons les zooms répétés sur la cage thoracique du personnage, qui par transparence révèlent une vue anatomique du cœur en train de battre : toute action est introduite par ce rappel didactique.

fig. 55.1 fig. 55.2 fig. 55.3 fig. 55.4 fig. 55.5 fig. 55.6

fig. 55 : Les photogrammes de Crank s'avérant illisibles (vu le rythme rapide du montage du film), nous proposons pour illustrer le registre visuel de la franchise des photogrammes issus de Crank 2: High Voltage. Dans ce nouvel épisode, le personnage de Statham se voit voler son cœur, remplacé par une pompe artificielle.

Nous retrouvons cette attention pour l'organe "cœur" dans Wanted. Wesley Gibson se présente comme un personnage banal, un employé de bureau anonyme qui déteste son quotidien. Il apprend un jour qu'il appartient à une guilde secrète d'assassins hors du commun, qui se chargent de tuer les individus menaçant l'avenir de l'humanité. Ces guerriers tuent avec des armes à feu, mais se distinguent par une expertise de la trajectoire des balles, qui au lieu de suivre une ligne droite, prend une forme courbe prévues par ces tueurs surhumains. Toutefois, cette précision s'accompagne d'un état physique limite : le héros Wesley Gibson (James McAvoy), pour atteindre cet état de conscience, voit son rythme cardiaque se rapprocher de quatre cents pulsations par minute. Dans Wanted comme dans Crank, le poncif du battement du cœur qui accompagne traditionnellement la caméra subjective455 devient ici le moyen, non pas de solliciter l'identification du spectateur, mais de signer l'exceptionnalité du héros. Le corps n'est plus alors seulement l'objet de notre regard, il devient le filtre d'une expérience physique. La maladie consiste dès lors à tempérer la fonction de l'Action comme spectacle d'exploits, pour mettre l'accent sur l'héroïsme comme expérience vécue, quitte à radicaliser ce principe : l'action est tellement vécue "de l'intérieur" qu'elle dépasse les limites de le peau, pour vivre le corps comme ensemble d'organes.

Le symptôme, qu'il soit induit par un poison (Crank) ou constitutif du corps (Wanted) est quant à lui requalifié : le signe de la maladie devient signe d'exceptionnalité. Alors que les corps de Chev Chelios et Wesley Gibson semblent bien malades - ils se soignent constamment, principalement à l'aide de médicaments - la faiblesse à proprement parler ne se situe pas du côté de cette maladie. Elle en prend d'abord l'aspect, en laissant Chelios et Gibson tituber au début des deux films. Puis, au fur et à mesure, l'héroïsme, encore une fois fondé sur l'Action et une rhétorique de l'exploit, surgit quand le héros reconnaît la maladie et l'adopte : la maladie n'est plus le trouble d'un corps, mais le moteur de son mouvement. Il est également significatif que l'organe sur lequel l'Action porte son attention soit le cœur : ce dernier revêt une fonction synecdotique par rapport au genre, dans le sens où son rythme pulsatile rappelle la nécessité pour les films du genre de "garder le rythme". Les films d'action, après 2000, tendent à s'éloigner, dans une certaine mesure, du bal de véhicules dont la collision constituait une majeure partie des films dans les années 80. Terminator a joué à cet égard un rôle capital, en réunissant le corps et la machine. Dans les années 2000, cette leçon est intégrée puisque le véhicule de choix n'est plus la voiture, ni le bus, c'est le corps, dont la vitesse et autres caractéristiques surhumaines sont identifiées à une maladie qu'il ne faut pas soigner, mais embrasser.

Wanted et Crank, en présentant deux personnages dont le rythme cardiaque représente la condition de leur héroïsme, semblent ramener le corps à une présence que la trajectoire avait su abstraire dans d'autres occurrences du film d'action. Dans le cas particulier de Crank, somme toute assez univoque, cette présence n'est pas tempérée, ou mise en tension. Par contre, Wanted utilise le corps malade, ou maladivement héroïque, de deux façons distinctes. D'un côté, nous l'avons vu, la maladie permet de recentrer l'attention sur le corps, comme machine organique, et plus seulement comme objet bodybuildé. Mais la maladie qui affecte Wesley Gibson permet paradoxalement de mettre à distance le corps, au moment où celui-ci semble plus présent que jamais. La trajectoire des balles n'est pas ici l'objet d'un examen scientifique comme elle a pu l'être dans certains films policiers ou séries télévisées : l'expertise, si elle existe, repose sur une identification à la balle comme corps de substitution. La trajectoire de la balle n'est plus seulement l'avant du meurtre (comme dans la plupart de ses représentations cinématographiques), ou la forme abstraite du déplacement d'un corps (Matrix) : elle devient un trajet affectif.

fig. 56.1 fig. 56.2 fig. 56.3 fig. 56.4 fig. 56.5 fig. 56.6 fig. 56.7 fig. 56.8

fig. 56 : Les balles possèdent des trajectoires courbes dans Wanted, qui sont suivies au plus près par la caméra (le plus souvent fictive) - ici à rebours de l'action.*

Plusieurs scènes dans le film suivent le trajet de ces balles : la caméra, juste derrière le projectile, sort avec lui du canon456, et suit une longue course en zig-zag pour aller frapper de façon improbable (sinon impensable) une victime située à plusieurs kilomètres. Le cœur bat à grande vitesse pour atteindre l'état nécessaire à la réalisation d'un tel exploit : mais alors que physiquement, le héros atteint sa limite, il sort de lui-même et s'incarne dans un objet dont la raison est une fois de plus le déplacement perpétuel, jusqu'à l'accomplissement du parcours en apothéose. Nous pourrions nuancer, en précisant que, dans le cas de Wanted, les trajectoires sont courbes - ce qui pourrait introduire une nouvelle variation sur le principe du "boulet de canon" précédemment évoqué (fig. 56). Mais cette trajectoire, pour autant qu'elle est courbe, conserve une origine et une visée, un centre unique. Ses détours correspondent tout au plus à une variation rococo, un mouvement ornemental, à l'image des arabesques qui décorent les balles et les crosses des armes des tueurs. Le corps gagne donc en présence, mais sort de lui-même à nouveau, pour réintégrer cette logique de la trajectoire - courbe ou non - qui constitue la forme globale du film d'action. La présence du cœur comme origine de l'héroïsme est vidée de toutes ses éventuelles connotations morales : cet organe héroïque n'est qu'une pompe, dont le rythme marque la nécessité interne au genre d'avancer coûte que coûte. Cette contrainte, après avoir fait figure de règle non explicite, s'est successivement incarnée dans des véhicules de toutes sortes (Speed) avant de gagner le corps du héros lui-même. Le héros devient alors garant du fonctionnement du film dans son entier, il en est de façon imagée le carburant.

3.2.3 Les héros féminins et afro-américains comme alternatives

- Héros féminin musculin et action babes

Nous l'avions annoncé, les héros féminins se trouvent normalement écartés de notre travail, exclusivement consacré aux héros masculins d'action. Néanmoins, il est impossible de traiter des orientations dugenre Action, ou de chercher des formes alternatives à l'héroïsme sans regarder du côté des femmes d'Action. Parallèlement à la théorisation d'un héros fort et agressif, dit reaganien, s'est construite l'analyse des figures féminines fortes du cinéma d'Action, le plus souvent pour en faire le procès. En effet, l'Action n'est pas réservée aux hommes : nous l'avons évoqué en mentionnant les serials The Hazards of Helen et The Perils of Pauline, dès les années 10. Mais il en existe bien d'autres occurences : Raphaëlle Moine le montre dans son ouvrage Les femmes d'action457. Nous utiliserons ici principalement la ressource documentaire constituée par cet ouvrage. Nous parlerons également de héros féminins plus que d'héroïnes, puisque cette dernière appellation tendrait à rapprocher les personnages étudiés d'acolytes de sexe féminin des héros, plutôt que de héros à part entière. Il ne s'agit pas ici d'entrer en profondeur dans le corpus (par ailleurs fourni) des héros féminins d'action, mais plutôt de saisir les grandes articulations problématiques que soulèvent leur exposition et leur mise en action au cinéma.

La grande question qui anime les critiques féministes, et que Raphaëlle Moine reprend par ailleurs dans son ouvrage est la suivante : les héros féminins, en reprenant dans les années 80 des rôles agressifs et musculaires jusque là réservés aux hommes, s'inscrivent-elles dans une prise de pouvoir progressiste pour leur sexe, ou s'imposent-elles seulement en renonçant à leur féminité ? Qui plus est, même si les femmes accèdent à partir des années 80 à un répertoire d'Action plus violent et imposent par là leur capacité à endosser des rôles traditionnellement réservé aux hommes, il n'en reste pas moins que certains clichés (domestiques, maternels, ou du côté de l'objectification pin-up) peuvent guetter le héros féminin d'Action.

Raphaëlle Moine rappelle, dans un chapitre qu'elle intitule d'ailleurs "Généalogies458", la longue histoire des femmes actives au cinéma, des serial queens des années 10 et 20 aux femmes pirates des années 50, en passant par un cycle de films d'aviation dans les années 30 et les films de propagande de la Seconde Guerre Mondiale. La diversification des rôles féminins au cinéma est peu ou prou contemporaine de l'émergence, puis de la vulgarisation des théories féministes dans les années 70. Celles-ci sont marquées par l'apparition de héros féminins plus forts et plus autonomes, notamment dans les marges constituées par les films du cinéma d'exploitation et de la blaxploitation. Moine repère, en suivant les analyses de Carol Clover, un cycle de films très particulier nommé rape-and-revenge459, dans lequel une femme victime de viol va pourchasser ses agresseurs et les punir, souvent de manière brutale et définitive. À la suite de cette décennie de héros féminins traumatisés et poussés vers un comportement violent, s'ouvre une période où les personnages de femmes vont pouvoir, elles aussi, incarner des héros musculaires, solitaires, sur qui repose la sauvegarde d'une situation. Les deux grands exemples de ce glissement sont Ellen Ripley (incarnée par Sigourney Weaver dans la franchise Alien, de 1979 à 1997) et Sarah Connor (interprétée par Linda Hamilton, et qui apparaît dans deux films de la franchise Terminator en 1984 et 1991).

fig. 57.1 fig. 57.2 fig. 57.3 fig. 57.4 fig.57.5 fig. 57.6

fig. 57 : Le lieutenant Ripley connait une masculinisation progressive au fil des trois premiers épisodes de la franchise Alien - une problématique maternelle vient compliquer la définition genrée.

fig. 58.1 fig. 58.2 fig. 58.3 fig. 58.4

fig. 58 : Sarah Connor suit un parcours similaire, problématique également au regard de la maternité dans Terminator (fig. 58.1 et fig. 58.2) et Terminator 2: Judgement Day (fig 58.3 et fig. 58.4).*

Dans les deux cas, la transformation a été progressive. Ripley apparaît assez féminine dans le premier film de la saga Alien ; progressivement, les marqueurs de son identité sexuelle sont gommés, au fur et à mesure que ses cheveux se raccourcissent, avant d'être rasés dans Alien^3\ ^(fig. 57). Sa musculature prend également en ampleur, tandis que ses vêtements évoluent : si Alien comporte encore lacélèbre scène dite "de la petite culotte" (où Ripley se cache en sous-vêtements dans son vaisseau pour échapper à l'Alien), Alien^3^ présente une Ripley vêtue de la même combinaison de jute que ses co-détenus. Alien 4 présente un cas un peu à part dans la mesure où Ripley, pourtant morte à la fin d'Alien^3^, est ressucitée par une manipulation génétique : ce n'est plus tant sa féminité qui interroge, mais plutôt son appartenance au genre humain ; elle est cependant rattrapée par une problématique bien féminine, celle de la maternité, puisque son ADN a servi à fabriquer un monstre hybride, mi-alien, mi-humain.

Sarah Connor suit un parcours similaire, quoique accéléré au cours des deux films qui la mettent en scène (fig. 58). Dans le premier Terminator, elle apparaît comme une jeune femme insouciante et apprêtée, qui semble bien maîtriser les codes de la féminité. Sa vie bascule lorsqu'elle rencontre Kyle : celui-ci affirme venir du futur. Dans cet avenir-là, les machines ont pris le contrôle de la planète et asservi les humains, à l'exception d'un groupe de rebelles menés par John Connor, le futur fils de Sarah. Kyle prétend que les machines ont envoyé un Terminator pour la tuer, dans l'espoir d'empêcher la naissance de John Connor. Le film suit une structure de traque assez conventionnelle, où Kyle accomplit tous les actes héroïques face à une Sarah affolée, avant de la séduire - donnant lieu au paradoxe temporel astucieux qui fait de Kyle le père de John Connor. Kyle meurt cependant avant la scène finale, et c'est seule, dans une friche industrielle, que Sarah affronte le Terminator, et accède à une nouvelle dimension, celle de véritable héros féminin d'Action. Dans le deuxième volet de la franchise, Sarah Connor affirme cette identité guerrière, mais paradoxalement, elle n'est plus le centre de la narration, comme l'aurait suggéré le final du premier film. Dans celui-ci, John Connor, alors âgé de 10 ans, est poursuivi par le T-1000, un robot tueur d'une nouvelle génération, et protégé par l'ancien Terminator, reprogrammé dans le futur par son alter-ego adulte. Sarah Connor est quand à elle internée dans un institut psychiatrique en raison de son obsession paranoïaque (et pour ses médecins, imaginaire) pour le Terminator. John demande au Terminator de l'aider à libérer sa mère, et c'est ce curieux trio que va mettre en scène un nouveau récit de traque. Si le schéma familial vient immédiatement à l'esprit, il est loin d'être conventionnel. Sarah a en effet radicalement changé d'apparence par rapport au premier film : ses brushings extravagants ont laissé la place à une chevelure lisse, maintenue par une solide queue de cheval ; ses muscles sont développés, mais architecturent un corps sec, aux antipodes de la rondeur maternelle ; enfin, ses vêtements sont ceux d'une guerrière, entre le pantalon, le débardeur iconique et les diverses armes qui arnachent son corps. Cette apparence fait écho à son comportement : alors que le Terminator apprend au contact de John à être plus humain, en s'initiant par exemple à l'humour, Sarah devient une guerrière froide et calculatrice - elle n'hésitera pas à s'infiltrer dans la demeure d'un ingénieur qu'elle estime responsable de la création des robots, et torturera ce dernier devant ses enfants - avant d'être ramenée à la raison par son fils.

Les héros féminins ne viennent donc pas coloniser les héros masculins sur leurs terres : c'est plutôt que les deux types de personnages sont lancés dans des directions opposées, et qu'un film comme Terminator 2: Judgement Day a valeur de carrefour. Linda Hamilton se construit en effet un corps de guerrière musclée, alors même que Schwarzenegger, certes encore ancré dans un registre de la corporéité hyperbolique, semble déjà en chemin vers les scénarios familiaux de Jingle All the Way! ou Kindergarten Cop. Il n'est d'ailleurs pas le seul : Linda Williams rappelle qu'à l'époque où Demi Moore révèle un corps surentraîné dans G.I Jane, son mari Bruce Willis vient de prêter sa voix à un bébé460 (Look Who's Talking). Alors que les guerriers masculins solitaires retournent progressivement au foyer (Schwarzenegger combinant vie domestique et vie d'espion dans True Lies), les femmes, si elles veulent s'imposer de manière héroïque, semblent contraintes d'abandonner cet espace. Ceci est vrai des années 80, où les quelques héros féminins que l'on rencontre sont très proches de l'iconographied'un Rambo, par exemple. Dans les années 90 cependant, le retour de problématiques traditionnellement féminines (la maternité, l'enfantement) va permettre de ramener la sphère domestique dans les récits, sans pour autant faire retourner les femmes aux fourneaux. La problématique maternelle n'était jamais vraiment partie, mais hantait les héros féminins de manière problématique (Sarah Connor, incapable d'être une mère pour son fils, tant elle est devenue son garde du corps), horrifique (Ripley sauvant l'orpheline Newt de l'Alien-mère) ou traumatique (Ripley perdant son rôle de mère adoptive lorsqu'elle apprend la mort de Newt, et devenant plus tard la mère d'un monstre).

La problématique qui va traverser le traitement des héros féminins à partir des années 90 est donc double, à la fois maternelle et domestique. Sur le plan de la maternité, il faut en effet constater que l'action des héros féminins naît souvent d'un impératif de protection, plus que de destruction de l'ennemi (même si l'un entraîne souvent l'autre). Nous pensons bien sûr à Ripley, mais aussi au personnage de Milla Jovovich dans Ultraviolet, à Charlie Baltimore dans The Long Kiss Goodnight, et à Beatrix Kiddo dans Kill Bill. Dans les deux derniers cas, l'expérience de la maternité a été doublée d'un trauma (tentative de meurtre suivie d'amnésie pour l'une, avortement forcé et viol dans l'autre). Tandis que Charlie Baltimore lutte avec une identité d'espionne qu'elle avait oublié, Beatrix Kiddo se réconcilie avec son rôle de tueuse pour venger le meurtre de sa fille - avant de découvrir que celle-ci a été sauvée et cachée par son père, celui-là même qui avait tenté de la tuer. Les héros féminins font aussi l'expérience de la trajectoire d'Action, mais celle-ci prend un sens différent, dès lors que l'enfant est la visée de ce programme guerrier. Les héros féminins d'Action se battent pour arrêter de se battre, paradoxalement : Beatrix et Charlie, anciennes guerrières, sont rattrapées par leurs destins de tueuses alors même qu'elles se sont réalisées dans une autre destinée - celle, plus conventionnelle, dans lequel le cinéma les contextualise habituellement.

Cette lutte, entre un destin choisi mais conventionnel, et un devenir plus masculin s'exprime de manière imagée dans le traitement de la domesticité. Dans les films d'action, le spectateur ne voit pas toujours, et même plutôt rarement, la demeure de ses héros : Rambo n'a pas de maison, effectivement et symboliquement, tandis que John McClane possède un foyer, mais dont il n'est donné aucune image. Schwarzenegger est l'un des seuls à apparaître dans un contexte domestique, mais celui-ci prend dès lors les qualités d'une vision figée, hors du temps, dont la perfection vernaculaire semble relever d'une très forte idéalisation. Les femmes, en revanche, ne sont que très rarement extraites de ce contexte. Pour un Schwarzenegger, le doux foyer n'est qu'un repère, une contextualisation première dont les nécessités de l'Action viennent bien vite le tirer. Beatrix Kiddo (fig. 59) et Charlie Baltimore se battent en revanche toutes les deux dans une cuisine, et ce, assez tôt dans leurs récits respectifs.

fig. 59

fig. 59 : La cuisine devient le théâtre d'une violence inattendue dans Kill Bill (2003).

fig. 60.1 fig. 60.2 fig. 60.3

fig. 60 : Angelina Jolie cache un arsenal dans le four de sa cuisine, dans Mr. & Mrs. Smith (2005).

Charlie, qui a oublié son passé d'espionne, fait figure de Jason Bourne au féminin, lorsqu'elle retrouve ses talents de manieuse de lame en préparant le dîner familial. Beatrix ne se bat pas dans sa propre cuisine, mais dans celle de son opposante, Vernita Green, elle aussi mère d'une petite fille. Dans ce contexte, les outils de la domesticité féminine sont redécouverts et requalifiés par un nouvel usage héroïque. Ce procédé de contextualisation est très fréquent : nous le retrouvons dans Hancock (la cuisine sera finalement pulvérisée) et Mr. & Mrs. Smith (Angelina Jolie posséde un arsenal de guerre dissimulé derrière ses fourneaux, en fig. 60).

Enfin, il faut mentionner un dernier aspect de l'accès à l'héroïsme d'Action par les personnages féminins. Les femmes, nous l'avons vu, sont généralement livrées à la scrutation dès lors qu'elles intègrent un récit hollywoodien. Femmes fatales, pin-ups, ou simples "romantic interests", elles n'occupent pas la place centrale - déjà captée par le privé, le policier, le militaire - mais semblent constituer un point de contemplation érotique, en marge des plaisirs de l'intrigue. Nous avons vu que les héros féminins des années 80 perdaient petit à petit de leur attrait physique en se masculinisant. Dès lors, leurs corps ne peuvent plus seulement fonctionner comme des objets à contempler, et deviennent bien plutôt le moteur de l'Action, et éventuellement une curiosité. C'est le pan de la musculinité ("musculinity") : ce concept, amené par Yvonne Tasker, désigne la requalification du corps féminin par l'ajout du muscle, caractéristique traditionnellement associée au corps masculin. Elle écrit ainsi :

Pour fonctionner de manière effective dans le monde menaçant et macho du film d'action, l'héroïne doit être masculinisée. La masculinisation du corps de la femme, qui est réalisée de la manière la plus évidente par ses muscles, peut être comprise en employant la notion de "musculinité". En d'autres termes, certaines des qualités associées à la masculinité sont inscrites sur le corps musclé féminin. "Musculinité" renvoie au fait que les signifiants de la force ne sont pas limités aux personnages masculins461.

Lorsqu'il possède un corps musculin, le héros féminin semble masquer ses atours traditionnels de manière à embrasser un nouveau rôle, comme si la seule façon d'être héroïque revenait à abstraire les qualités mêmes qui font du personnage une femme. Si cela semble vrai pendant les années 80, un changement se fait sentir à partir des années 90, comme l'observent Raphaëlle Moine462 ou encore Marc O'Day463. L'action babe ou babe in arms constitue un nouveau stéréotype de femme active, guerrière, mais néanmoins attirante et séduisante. Plus "sexy" que ses homologues musculines, mais plus autonome qu'une James Bond girl des années 70464, l'action babe semble tout d'abord résoudre le dilemme entre femme regardée et femme actante en endossant les deux rôles à la fois. Dans cette perspective, les action babes des années 90 et 2000 pourraient constituer des modèles féminins positifs et enfin libérés des impératifs patriarcaux - dès lors que la séduction n'obligerait plus à une position fermée, devenue arme de guerre pour ces nouvelles aventurières. Un diagnostic si positif doit bien sûr être tempéré.

fig. 61 : Les actions babes des années 2000 : des jeunes femmes létales, mais qui restent séduisantes.*

fig. 61.1 fig. 61.2

fig. 61.1 et fig. 61.2 : Angelina Jolie dans Tomb Raider (2001).*

fig. 61.3 fig. 61.4

fig. 61.3 et fig. 61.4 : Drew Barrymore, Lucy Liu (fig 61.3) et Cameron Diaz (fig 61.4) dans Charlie's Angels (2000).*

Que ce soit Yvonne Tasker, Linda Williams, ou Raphaëlle Moine465, toutes s'accordent à dire que l'autonomie de l'action babe prend trop souvent l'allure d'un vernis de surface (fig. 61). Les drôles de dames (Charlie's Angels) sont certes actives et séduisantes, mais obéissent encore à la voix d'un homme, Charlie, qui leur donne ses ordres par poste de radio interposé. Lara Croft (Lara Croft: Tomb Raider) semble vivre de manière autonome dans sa grande villa : elle reçoit en rêve la visite de son père qui lui indique l'orientation de ses missions. Père effectif ou symbolique, peu importe : la plupart de ces babe in arms semblent hantées par une figure paternelle tutélaire, qui oriente leurs actions et donne un autre sens à leur quête. Bien sûr, les héros masculins eux aussi sauvent leurs enfants (Commando) ou écoutent une figure paternelle (la franchise Rambo) : mais nous n'observons pas là de déchirement entre deux rôles possibles, telles Charlie Baltimore et Beatrix Kiddo, obligées de composer avec des identités antithétiques (mère protectrice et tueuse létale).

Au fond, les héros féminins d'Action des années 80 semblent avoir contribué à diversifier le répertoire des rôles possibles pour la femme au cinéma, au-delà de la seule position d'objet. Il ne faudrait pas non plus radicaliser ce schéma historique : il y a eu des femmes fortes avant les héroïnes musculines, telles Joan Crawford dans Johny Guitar (Nicholas Ray, 1954) ou Katharine Hepburn dans The African Queen (1951) pour ne citer qu'elles. Néanmoins, des personnages comme Ripley ou Sarah Connor, malgré leur caractère problématique, révèlent une capacité des films à ouvrir le champ de l'héroïsme corporel - même si celui-ci, à défaut d'être masculin, continue de puiser dans un répertoire viril. Enfin, le modèle des actions babes pose des complexités certaines, dans la mesure où il tente de prolonger la position d'être-regardé de la femme au cinéma, tout en lui rendant le pouvoir sur sa séduction et son Action héroïque. Dans tous les cas cependant, il semble que la femme ne puisse gagner son héroïsme qu'à devenir autre : devenir un homme, devenir une pin-up, devenir une mère guerrière. Cette somme d'identités occasionne il est vrai un jeu de masques qui peut tout à fait générer une forme de mobilité (dans The Long Kiss Goodnight, par exemple). Néanmoins, là où le héros masculin semble s'imposer dès lors qu'il possède un corps, il semblerait que la femme ait fort à faire pour imposer le sien comme territoire de l'héroïsme. Nous verrons que les héros d'action masculins sont eux-mêmes en proie à des crises identitaires fortes - mais leur corps arrive toujours, cependant, à signifier l'héroïsme - là ou l'héroïsme d'Action de la femme semble toujours en devenir.

- Les héros afro-américains

Les héros Afro-Américains, issus eux aussi d'une minorité (bien que les tenants des théories du genre et de la race s'accordent généralement à dire que la position minoritaire des femmes et des Noirs n'est pas équivalente), pourraient constituer une autre alternative - masculine, mais plus inattendue. En effet, les personnages noirs peuvent revêtir de multiples rôles, et nous aurons l'occasion de parcourir quelques typologies récurrentes dans notre troisième chapitre, de la position subalterne (la mammy tant critiquée par les études post-coloniales) à la posture menaçante (le black buck de The Birth of a Nation). Les héros noirs ont leur place dans le genre Action, mais celle-ci reste congrue, et possède d'autres limites au-delà du seul aspect quantitatif. Les premières figures de personnages véritablement héroïques et centrales dans le récit sont celles de la blaxploitation, avec des films comme Super Fly (1972), Shaft (1975) avec Richard Roundtree, ou encore Bucktown466 (1971). Le spectateur y découvre des personnages à la sensualité débordante : comme le rappelle Yvonne Tasker467 (inspirée par Douglas Bogle), ce choix pour des héros noirs de personnalités outrancières sert de repoussoir à la position subalterne qui est souvent la leur au cinéma. Dans Bucktown apparaît Carl Weathers (fig. 62), qui avec Predator sera un des seuls acteurs noirs proéminents dans le genre Action.

fig. 62.1 fig. 62.2

fig. 62 : Carl Weathers dans Predator (1987). Le héros noir possède des qualités au combat, mais meurt bien avant le personnage d'Arnold Schwarzenegger, véritable héros de l'histoire.*

fig. 64

fig. 63 : Danny Glover et Mel Gibson présentent un des premiers duos héros blanc / héros noir dans le buddy movie Lethal Weapon (1987).

fig. 64

fig. 64 : Cette formule est reprise dans Die Hard: With a Vengeance en 1995.*

fig. 65

fig. 65 : Il est rare que le héros noir tienne le rôle principal dans le récit - c'est pourtant le cas ici avec Wesley Snipes dans Passenger 57 (1992).

fig. 66.1 fig. 66.2

fig. 66 : Le buddy movie connaît une nouvelle déclinaison avec Rush Hour (1998) - l'homme noir n'est plus opposé à l'homme blanc, mais à un Asiatique (Jackie Chan).*

fig. 67.1 fig. 67.2

fig. 67 : Wesley Snipes incarne un héros mi-homme mi-vampire dans Blade (1998).

Predator et Predator 2 (avec Carl Weathers, puis Danny Glover) représentent d'ailleurs les deux incarnations possibles pour le héros d'action noir : il peut en effet trouver sa place dans un duo (dans le cadre d'un buddy movie ou d'une formule approchante), ou exister comme le héros unique du récit. Dans le premier cas, le héros noir prend sa place dans un jeu de contraires qui peut être formulé de différentes manières. Culturellement, l'homme noir est associé à une grande force primitive, parfois jusqu'à la violence, et lorsque ces extrêmes ne sont pas atteints, l'homme noir reste souvent contextualisé du côté de l'excès. Dans 48 hours (1982), Eddie Murphy incarne un prisonnier en liberté surveillée qui fait équipe avec un policier (Nick Nolte). Le scénario fonctionne ici sur le contraste entre l'homme de loi hiératique et l'attitude excessive d'Eddy Murphy. Ce jeu d'oppositions sera repris dans la franchise Rush Hour, où Chris Tucker, dont l'excessivité tient presque de l'hystérie, est opposée à la maîtrise de Jackie Chan, plutôt qu'à celle d'un héros blanc (fig. 66). Ce principe est retourné dès 1987 dans Lethal Weapon, puisque c'est Danny Glover qui joue le rôle d'un policier père de famille, calme et maîtrisé, face aux débordements de Mel Gibson (fig. 63). Tous ces cas comportent leurs spécificités mais semblent révélateurs de la difficulté, pour le héros noir, à être autre chose qu'un contrepoint. Nous remarquerons également quel'inclusion d'un acteur noir dans un film d'action induit généralement un traitement du genre sous l'influence de la comédie : il en va ainsi de la carrière d'Eddy Murphy, qui apparaît pourtant comme le seul acteur afro-américain ayant porté une franchise dans le domaine de l'Action (mêlée à la comédie, avec Beverly Hills Cop).

Lorsque le héros noir existe indépendament de tout duo, le résultat n'est jamais novateur, et constitue tout au plus une curiosité : Action Jackson (1988) puise dans la tradition de la blaxploitation, et présente un Carl Weathers clairement inspiré par Dirty Harry. Le programme d'action n'est pas reformulé suite à l'emploi d'un acteur noir. Action Jackson reste un des rares exemples où le héros afro-américain existe de manière solitaire, sans être associé à un personnage blanc ou asiatique. Predator II met en scène un Danny Glover plutôt réticent à réaliser des exploits physiques : il faudra pour qu'il prenne l'Action en charge que toute son équipe (composée d'un blanc et de deux latinos) soit éliminée par l'extra-terrestre. À ces exceptions, nous ajoutons Passenger 57, dans lequel joue Wesley Snipes, qui s'est lui aussi illustré dans le genre Action, mais d'abord dans des rôles de villains (Demolition Man), ou dans la franchise Blade, qui associe Action et science-fiction (Snipes y incarne un vampire qui chasse ses congénères, fig. 67). D'autres acteurs ont également marqué le genre, mais de manière ponctuelle, ou, comme dans le cas de Wesley Snipes avec Blade, ils s'illustrent dans des films hybrides où la science-fiction est dominante par rapport à l'action. C'est le cas de Will Smith dans I Am Legend ou Men In Black (ce dernier relevant qui plus est du buddy movie).

Nous retiendrons plusieurs caractéristiques dans le traitement des héros noirs par le cinéma d'action américain ; tout d'abord, les personnages noirs sont rarement les seuls héros de l'histoire et doivent souvent partager leur statut héroïque avec un personnage qui n'est pas Afro-Américain. Dans ce schéma, les stéréotypes ne sont jamais loin, puisque le héros noir finit souvent par manifester une énergie débordante qui demande à être contenue (Rush Hour), ou au contraire s'efface pour devenir tout au plus une présence bienveillante pour le véritable héros de l'histoire (Die Hard). Lorsqu'ils s'illustrent en dehors de la formule récurrente du buddy movie, les récits peuvent sembler offrir aux personnages noirs des destins redondants, où l'Afro-Américanité sert tout juste à amener une légère variation au schéma existant468. Le héros Afro-Américain semble de nouveau pris entre deux feux, entre passivité contenue et aggressivité sans limites. Yvonne Tasker résume ainsi cette position complexe :

Dans un système de représentations qui construit les hommes noirs soit comme des êtres hyper-sexualisés ou des figures passives et castrées, la représentation du héros d'action noir semble mise en tension. Un héros totalement passif consistue une contradiction dans les termes, tandis qu'un héros noir, agressif et actif, semble provoquer trop d'anxiété pour qu'Hollywood puisse y faire face469.

Il semble donc que la marginalité des héros noirs soit due, sinon aux logiques de production, à la complexité des connotations dégagées par le corps noir masculin. Si le sujet reste central pour la critique post-coloniale qui évalue plus largement le statut de l'homme afro-américain au regard de ses héros, il reste donc plus marginal dans notre étude, puisque le corps noir, s'il charrie son propre régime d'associations symboliques, n'amène pas de nouvelle corporéité héroïque à part entière.

3.2.4 Une forme pour l'exploit, le corps impossible

Le film d'Action appartient plus largement à la catégorie des films de genre, qui se caractérisent par un rapport particulier à la crédibilité. Ceux-ci demandent au spectateur de suspendre son incrédulité ; pour voir un film de science-fiction, nous acceptons, le temps d'un film, de croire que les monstres et les vaisseaux spatiaux existent. Les actioners, relevant d'une Action radicalisée s'insèrent cependant dans un contexte plus familier, plus familier en tout cas que les planètes distantes et univers fictifs qui fondent le genre science-fiction. En effet, les héros accumulent des faits extraordinaires, irréalisables dans le monde qui nous est familier. Il y a les sauts, les courses sans fin, les chutes sans blessures, les coups amortis sans perte de conscience ; le corps touche cependant plus crûment à sa limite dès lors que son poids est mis en jeu, c'est-à-dire son rapport à la gravité. Si les chutes peuvent se résoudre grâce à la chance, la gravité est une règle immuable qui façonne notre vécu, et semble plus difficile à défier. C'est pourquoi nous la rapprocherons, non d'un exploit fantastique, mais d'un impensable, en proximité avec l'idée d'un corps impossible. Nous reprenons ici en partie l'interrogation de Nicole Brenez sur Mission: Impossible : "L'exploit surhumain, l'invraisemblable et plus généralement l'incroyable constituent l'état de nature du cinéma d'action. Mais l'impossible ?470". Il faut également lire plus loin des précisions sur la notion, qui peuvent contribuer à définir le film d'action comme reprise du projet burlesque : "L'impossible, c'est vivre perpétuellement en état d'enfantillage, être cet enfant au rêve sanglant, exorbité de son privilège471. L'impossible n'est donc pas une limite systématiquement atteinte par la scène d'Action, elle constitue une particularité dans la grammaire de l'exploit, le rapproche de l'enfance et de l'esprit du jeu.

Parmi de nombreux exemples illustrant cette fascination pour l'impossible, en même temps que l'esprit "pour de faux" qui imprègne les jeux enfantins, nous avons précédemment cité la fameuse scène de Eraser où Arnold Schwarzenegger résiste à la force d'un réacteur, accroché à la porte d'un avion par ses seules mains. Dans Air Force One (Wolfgang Petersen, 1997), le président James Marshall (Harrison Ford) parvient à échapper à une chute dans le vide depuis son avion personnel en s'accrochant à un minuscule filin métallique. Dans The Fugitive, le même acteur voit son personnage survivre à une chute mortelle de plusieurs mètres dans les eaux bouillonnantes d'un réservoir : il y a bien "chute" visuellement, mais ce trajet du corps est comme séparé de la réalité physique qui est celle de son poids et de son accélération. Il n'est pas anodin que la plupart de ces exploits soient réalisés en altitude. En faisant quitter aux héros la terre ferme et en les plaçant dans le contexte aérien, les films cités semblent fantasmer un espace où le vide a été fait, un monde où de nouvelles règles physiques ont été élaborées pour le corps du héros. En effet, le personnage suspendu dans le vide semble non pas subir les forces de l'espace qui l'entoure, mais dicter à celui-ci de nouvelles règles. La contrainte formée par l'espace, sur le mode de la compression, se trouve ici retournée : l'espace assujettit le héros à ses lois, mais le héros en retour le requalifie, le façonne à l'envi.

Parallèlement, la limite, et même l'idée d'exploit ne sont pas sans rappeler l'exigence sportive, et le sport en général tel qu'il est filmé par exemple lors des grandes compétitions retransmises à la télévision. La visibilité des corps dans le film d'action est héritée des concours de bodybuilding, nous l'avons vu, mais l'attention pour le beau geste et sa tentative de décomposition par le ralenti forment l'autre pan d'une corporéité commune que se partagent cinéma d'action et sport télévisé. Plus largement, le concept d'impossible a été très directement traité par le genre, qui a porté son attention plus récemment sur les sports dits extrêmes. Le héros sportif, qui peut constituer une sous-catégorie du héros d'action (au même titre que le héros policier, ou le vétéran) sera ainsi interrogé dans son rapport à la notion de limite et la construction relative de ce corps impossible.

- La fin de la gravité et la subsistance des fluides corporels

L'idée d'impossible peut donner lieu à toutes sortes de configurations dans le film d'Action et peut définir une action, un état, un espace, et dans le cas qui nous intéresse, un corps en particulier. Partie du commentaire de Nicole Brenez sur Mission: Impossible, nous revenons naturellement à ce film, qui, en plus de comporter le terme qui nous guide dans son titre (une valeur programmatique possible) contient une scène qui construit un rapport au corps tout à fait particulier. L'espion Ethan Hunt (Tom Cruise), victime d'une machination, cherche ici les moyens de se disculper en s'introduisant dans les quartiers généraux de la CIA à Langley. Le lieu constitue une forteresse technologique protégée par des systèmes de détection réputés inviolables. La pièce apparaît comme un caveau immaculé, dans lequel Hunt doit s'introduire sans activer aucun des détecteurs, sensibles à toutes les formes de présence humaine : le contact au sol, la température, mais aussi la sueur. La scène débute, assez classiquement pour un film d'action, par l'avancée de Ethan Hunt et de son acolyte Franz Krieger (Jean Reno) dans les bouches d'aération du site. La forme du tube s'accompagne de la reptation habituelle.

fig. 68.1 fig. 68.2

fig. 68 : La scène d'infiltration à Langley dans Mission:Impossible. Le découpage de cette scène est détaillé dans les annexes, p. 716-717.

Puis, Hunt s'introduit seul dans la pièce qui l'intéresse, et cesse alors de ramper, pour mettre en place un mouvement tout à fait différent. Assuré par Krieger, Hunt descend en rappel, vêtu d'une combinaison noire qui évoque toutes sortes d'emploi, du spéléologue au soldat commando (fig. 68). Hunt demande le silence à Krieger, et ce sont tous les sons, diégétiques ou non, qui s'interrompent aussitôt. L'image relève d'un minimalisme peu commun dans le genre. Seuls Ethan, en noir, et le décor quasi abstrait, entièrement blanc, se partagent l'image. L'Action continue de faire partie du programme, mais comme dans les films d'espionnage472, il s'inverse : le geste le plus discret se substitue au mouvement grandiloquent, le silence à l'explosion. Les rebondissements restent nombreux, grâce à l'existence d'un compte à rebours (le temps nécessaire pour se procurer des données), et les fautes de Krieger qui manquent de faire tomber Hunt au sol - et ainsi de compromettre la mission. Car Krieger joue un rôle central : la séquence présentant Hunt suspendu dans le vide, dénué de poids, est entrecoupée de plans montrant le personnage en plein effort, son corps entièrement comprimé et déformé par la fatigue. En comparaison, le corps de Hunt semble sans poids, privé de l'effet de la gravité. Son corps, parfaitement étendu à l'horizontale, ne semble pas couché, mais quasiment debout : il n'y a plus ni haut ni bas dans ce brouillage de repères. Cette fois, ce n'est pas l'espace qui gomme les nuances entre horizontalité et verticalité, mais le corps lui-même qui se charge de mépriser la géométrie de l'espace, d'inventer ses propres marques. José Arroyo commente ainsi à la fois cet état du corps et l'impact qu'il induit sur la forme du film, en expliquant que le corps d'Ethan Hunt est "réduit à l'élément d'une composition géométrique473". Un plan montre plus spécifiquement le personnage descendre de son conduit, suspendu à son filin, au-dessus d'un sol d'un blanc brillant, découpé en facettes autour d'un centre. Arroyo ajoute ainsi sur ce point précis : "[s]on corps semble bidimensionnel ; il semble disparaître dans le motif comme s'il était absorbé par sa géométrie" ("[h]is body seems two-dimensionnal; it seems to disappear into the pattern as if matter had dissolved into geometry474").

Nous retrouvons ici des éléments qui s'appliquent à notre définition de l'état du corps héroïque affecté par la trajectoire. D'un côté un corps s'abstrait, perd toutes ses qualités associées à la gravité - poids, orientation dans l'espace - mais pour ce faire, il doit comme se vider de ses qualités organiques. Krieger, qui transpire pour garantir le flottement d'Ethan dans la pièce blanche, joue en quelque sorte le rôle de déversoir des humeurs du personnage, suant et peinant pour lui. Ici, l'héroïsme consiste à se fabriquer un corps impossible, mais aux dépends d'un corps non-héroïque. Le héros se façonne un corps parfait, léguant à un personnage secondaire, ou sidekick, les caractéristiques qui ne lui conviendraient pas : plus largement, nous verrons que ce dédoublement se fait système pour les super-héros : l'héroïsme ne peut exister sans être étroitement associé son contraire. Ici, l'héroïsme surgit à partir de deux corps ; chez Superman, deux identités se partageront un corps unique. Mission: Impossible, en marge de ces questions, montre que le héros, par son corps, peut se surpasser, à condition qu'un autre corps se fasse le réceptacle de ses faiblesses : c'est l'échange qui lie Hunt et Krieger -ou, pour dépasser ce seul exemple, qui associera Superman et Clark Kent.

fig. 69.1 fig. 69.2

fig. 69 : Une goutte de sueur possède le pouvoir de perturbation d'un corps. Le découpage de cette scène est détaillé dans les annexes, p. 717.

Puisque nous avons à présent montré que l'abstraction du corps héroïque se double fréquemment de son retour par des signes corporels fondamentaux (tels la sueur, le sang...), il nous faut examiner un autre aspect de la scène de Langley dans Mission: Impossible. Certes, le corps d'Ethan quitte le monde réel et y abandonne son poids, sa tenue d'être humain, pour un face-à-face avec une machine - des lunettes rondes, dont les verres sont striés de reflets, achèvent la symétrie avec le verre de l'écran. Mais peu à peu, le corps de Krieger seul ne peut contenir le poids d'Ethan - car ce poids, à défaut d'être vécu par le personnage, est bien réel. Dans un premier temps, Krieger laisse échapper le câble qui le relie à Hunt : celui-ci tombe, pour s'arrêter à quelques millimètres seulement du sol. Une série de gros plans montre alors successivement les mains gantées de Krieger, tendues dans l'effort, et le visage de Hunt, sur lequel commencent à perler quelques gouttes de sueur. Le spectateur voit ainsi cette goutte numérique rouler, et se détacher du front d'Ethan : une vision impossible, pour un corps impossible475 (fig. 69).

Cet impossible combiné de ce qui est vu et de ce qui est vécu surgit fréquemment dans les films des années 90-2000. L'usage d'effets spéciaux incite à la recherche d'un impossible, cette fois-ci du côté du regard. Ainsi, dans Superman Returns, un bandit tire sur Superman avec une arme à feu. Dans un esprit rappelant Matrix, la trajectoire de la balle est vue au ralenti. Quand le projectile atteint enfin sa cible, l'œil de Superman, elle s'y écrase. Superman est l'homme d'acier : il est logique que sa pupille fasse preuve de la même résistance que le reste de son corps. Mais il y a, dans cette vision poussée à l'extrême, dans cette balle qui s'affaisse, quelque chose d'un impossible. Même en suspendant sa croyance, le spectateur se trouve face à une limite de la représentation : la descriptivité exacerbée de la représentation annule en un sens la dimension extraordinaire de l'exploit.

Revenons alors à Mission: Impossible. La goutte qui tombe du front d'Ethan est recueillie dans la main gantée de celui-ci. Cette action est alors décomposée lors d'une série de plans courts illustrant la catastrophe évitée. Mais cette catastrophe, pour autant qu'elle aurait pu être générée par un détail apparemment insignifiant (la goutte), est le signe d'une organicité débordante, menaçante, entièrement assumée par Krieger. Cette forme canonique de la goutte entre en dissonance avec les trombes d'eau qu'Ethan Hunt a déchaînées plus tôt en faisant exploser un aquarium. Nous le voyions d'ailleurs courir au devant du flot, une forme d'habitude réservée aux feux des explosions. La goutte, par contraste, ne semble pas relever d'un état liquide, malgré les qualités descriptives que le gros plan lui accorde. Elle est le signe d'une organicité, d'une existence physique. Elle correspond également à cette volonté, caractéristique des développements plus récents du genre, qui consiste à faire s'éclipser le corps pour le concentrer dans un objet de taille réduite, dont l'organicité n'existe que par le truchement du numérique. Ainsi, la façon dont la goutte, générée par Ethan, en vient à incarner son état de corps solide tout entier, n'est pas étrangère à la disparition des tueurs dans Wanted au moment où ils tirent et s'incarnent dans la balle.

Nous reprenons ici encore les observations de José Arroyo, qui concernaient davantage les objets utilisés dans la scène, selon lesquelles les objets semblent être "séparés de leurs propriétés476". Il ajoute, quand au couteau que Krieger laisse plus tard tomber près d'Ethan : "le couteau n'est pas dangereux parce qu'il peut couper, mais parce qu'il peut tomber477". Les accessoires, goutte ou couteau, sont donc séparés de leur existence d'objet, tout entiers absorbés par la règle de la gravité, qui semblait pourtant avoir été évacuée par la seule présence du héros Ethan soumettant l'espace à ses lois. Nous pouvons ainsi résumer le déroulement de la scène : Ethan échappe d'abord à son corps comme objet solide et lourd dans une première partie, en transférant cet état dans le corps de Krieger qui en devient garant. Lorsque Krieger atteint sa limite, il rend brutalement ses propriétés à Ethan qui choit près du sol, et laisse échapper une goutte de sueur. À partir de ce moment, le corps d'Ethan semble d'autant plus lourd qu'il a tout d'abord joué de sa légèreté. L'impossible corps que le personnage s'invente n'est pas impensable en raison de son aspect spectaculaire, comme le pouvoir d'un super-héros : une telle limite est facilement contournée par la bonne volonté du spectateur qui choisit de croire à un monde pour la durée d'un film. Non, cet impossible-là est plus profond, car il inverse le rapport entre le personnage et l'espace : le héros contraint le décor, et non l'inverse. Ce principe sera d'ailleurs pérenne dans la franchise, comme le remarquent Pascal Couté et Vincent Amiel, en commentant le montage de la scène de poursuite en moto qui clôt Mission: Impossible II :

la multiplication des plans, les diversités des angles de prises de vue, les mouvements multidirectionnels de la moto, la variation constante de ceux-ci imposent un espace "impossible" qui n'existe que par le mouvement du corps-machine. L'espace y est toujours second et il n'a pas de consistance propre, ou plutôt il n'a de constance que dérivée, comme corrélat du mouvement des corps478.

Mais il ne faudrait pour autant en conclure que le corps peut tout. Le corps du héros n'accède à cet impossible qu'en existant sur la base de la rétention, ou en utilisant un autre corps pour y verser l'effort, sur le principe des vases communicants. En effet, alors que l'espace est sans cesse soumis à des explosions qui ventilent ses équipements en poussière, le corps tâche de rester à l'intérieur de ses limites, de tout garder en lui, y compris la moindre goutte de sueur. La rétention symbolique qui était à l'œuvre dans Cobra, lorsque Sylvester Stallone contenait son corps massif dans un costume de cuir, fait retour et impose ses conditions à l'exploit. Mission: Impossible annonce aussi ce corps qui sera mis à l'épreuve dans Jason Bourne et Matrix : libéré de son contexte, de son inscription sociale, de ses maux de tête, le héros n'est plus qu'un corps, ouvert à tous les possibles ; ce "tout est possible" du corps semble donc engager, fonctionnellement, l'impossible de la représentation (balles suspendues en l'air dans Matrix et Superman Returns, gouttes de sueur dans Mission: Impossible).

- Sports extrêmes : une variation anecdotique ?

Il est des héros pompiers, des héros policiers, des héros qui sont des hommes normaux, des common men. Pourtant, les exploits qu'ils déploient, tant par leur aspect extraordinaire, que par la façon dont ils sont mis en scène (ralentis, accélérés, gros plans sur le corps) ne sont pas sans rappeler le monde sportif. Cela paraît même évident : à parler d'effectivité physique dans les films d'action, la figure du sportif vient spontanément à l'esprit. Malgré ces différents ponts, la profession sportive est relativement marginale pour les héros, qui restent le plus souvent des représentants de l'ordre public. Le sport, surtout en tant que sujet télévisé, représente donc un champ connexe au cinéma d'action. Nous avons déjà évoqué l'importance des concours de bodybuilding dans l'invention de la visibilité du corps dans les premiers actioners. Il faut également constater que l'explosion du genre dans les années 80 était concomitante d'une vague de films (sans doute insuffisants et trop marginaux pour former un genre) dont les intrigues intégraient des clubs de gym et de fitness479. Cependant, la "gym" constituait un univers parallèle qui était peu ou pas présent dans les films d'Action à proprement parler.

Plus récemment, le muscle a cessé d'être un attribut évident, comme dans le cas d'Arnold Schwarzenegger. Batmans Begins montre ainsi Bruce Wayne, héros en devenir, faire des pompes et s'entraîner pour rester héroïque, chose inhabituelle dans le contexte des super-héros, qui ont prolongé l'existence d'un muscle sans origine, greffon apparu par magie sur le corps du personnage480. Tout se passe comme si le film, pour mieux gommer l'origine véritable de la musculature de l'acteur (de l'exercice, autrement dit du sport), évacuait le sport de l'Action - tout en conservant fatalement une visibilité proche.

De plus, le sport et l'Action ont un commun cette forme fondamentale de la trajectoire, selon Elfriede Jelinek :

Le hiéroglyphe du présent, c'est le sport. Il se grave dans le corps. En même temps, il détruit de l'intérieur ce corps qui l'accueille. Il détaille du mètre humain, y découpe le tapis d'une course vers l'inconnu où ne règne plus qu'une certitude : le but ! 481.

L'injonction faite au sportif est la même que celle qui anime les héros d'Action : il faut vivre "dans le présent", dans "l'instant même482", et en même temps retrouver cet impossible dont nous parlions précédemment, différent toutefois de celui qui animait Mission: Impossible. Le sport demande que le corps se dépasse "pour de vrai", un impossible qui soit finalement réalisable, quantifiable, par le biais des chronomètres et autres instruments d'évaluation. Cette exigence s'est en partie transmise au cinéma : il existe, à Hollywood et ailleurs, des acteurs capables de se passer de doublure, et qui ne manquent pas de revendiquer ce talent lors de la promotion de leurs films. Dans certains cas, les réalisateurs se font le partenaire de cette performance "réelle" : ce fut le cas, entre autres, d'Henri Verneuil filmant Jean-Paul Belmondo dans Peur sur la ville (1975). La scène au cours de laquelle Belmondo escalade le toit du métro aérien est traduite par un langage de la vérification : l'articulation entre plan larges et plans rapprochés, grâce au zoom et sans l'entremise du montage, permet à l'incrédule de constater l'authenticité de la performance. Plus récemment, Harrison Ford revenait à l'âge de 66 ans dans un quatrième Indiana Jones, et revendiquait lui aussi avoir exécuté personellement de nombreuses scènes d'action483.

S'il existe un ludisme du film mettant en scène un héros sportif, celui-ci serait potentiellement différent des occurrences expliquées ci-dessus. Il nous faut donc nous intéresser aux héros sportifs, ceux dont l'emploi principal relève d'une pratique sportive, et dont les talents alimentent, ou empêchent, la réalisation d'un héroïsme en germe, à partir non pas d'un corpus, mais de quelques cas isolés484. Terminal Velocity (Deran Sarafian, 1994) en constitue un exemple, bien qu'il se rapproche davantage du thriller. Le héros Ditch (Charlie Sheen) travaille dans une société qui organise des sauts en parachute. Une jeune femme, Chris (Nastassja Kinski) demande un jour à sauter, mais ne déploie pas son parachute au moment voulu et meurt de sa chute. Il s'avérera que la chute était mise en scène, un leurre ayant remplacé la jeune femme au dernier moment. Le sport intervient ici à deux niveaux. Il fait partie des talents du héros, qui va sauver la jeune femme (une espionne, en réalité) de ses poursuivants, notamment en l'extrayant d'un coffre de voiture, laquelle a été jetée d'un avion. La technique associée à un sport précis vient alimenter l'héroïsme du personnage, et permet de varier des thèmes déjà connus, l'intrigue étant finalement assez commune. D'autre part, alors que le sport vient qualifier l'action, le phénomène inverse se produit. Les règles du genre Action tendent à redéfinir le sport dont elles se servent, et la pratique sportive dans son entier. Le sport n'est jamais dans le film d'action une discipline olympique. Soit il prend la forme de la gym ou du fitness, d'une discipline à vocation essentiellement esthétique, soit il se tient du côté des sports extrêmes (Terminal Velocity présente, en plus du parachute, une scène en dragster). Nous excluons naturellement les "films de sport", qui sont centrés sur le vécu d'athlètes, dont l'héroïsme se limite à leur discipline. En nous limitant au genre Action, les seules occurrences de héros sportif ne connaissent pas de moyen terme, ou alors la pratique est citée, mais reste hors-champ. Il est par exemple mentionné dans Terminal Velocity que Ditch pratiquait la gymnastique, mais a raté les jeux de Moscou, avant d'arrêter la compétition. De ces capacités sportives là, on ne saura rien, puisqu'elles sont requalifiées par la pratique du parachutisme : l'Action intègre le sport mais le redéfinit, par l'exclusion, comme une pratique héroïque, et rapproche ainsi les héros sportifs des héros policiers ou pompiers.

Les sports extrêmes sont associés à la profession du héros dans xXx (Rob Cohen, 2002), d'une façon plus éclectique encore. Le héros Xander Cage (Vin Diesel) ne se consacre pas à une pratique en particulier, qui viendrait apporter une originalité ponctuelle au film, mais il combine tous les sports extrêmes, conformément au goût hyperbolique qui le caractérise485. Le personnage se consacre ainsi à l'organisation de cascades apparemment impossibles à réaliser, dont la dangerosité lui vaut de régulièrement enfreindre la loi. Xander est par la suite recruté par le gouvernement américain pour infiltrer un groupe de terroristes ; le film d'action va ainsi dérouler une grille classique dans la succession des événements, mais ceux-ci vont systématiquement prendre la forme d'un sport extrême, reformulé dans le cadre d'une trajectoire d'Action. On trouvera ainsi à nouveau des scènes de parachute, mais aussi de snowboard, skateboard et motocross. Ces éléments étaient déjà présents dans de précédents films d'action, mais le héros les trouvait de façon fortuite sur son chemin et s'en servait comme si leur usage allait de soi (le motoneige dans Die Hard II, par exemple). En revanche, tous ces accessoires (skateboards, voitures de course) sont très bien connus de Xander. Par ailleurs, le film s'attache à légitimer tous ses talents, contrairement aux premiers films d'action qui éludaient la question, pour saisir un héros magiquement doué, capable de toutes les adaptations. Ainsi Xander sait parfaitement se servir d'une arme à feu, car il a passé des mois à l'hôpital, avec pour seul loisir ses jeux vidéo. Ces derniers sont fréquemment cités, et peuvent également paraître à première vue anecdotiques. Néanmoins, il permettent de mieux saisir la place accordée au sport dans le film : les sports extrêmes ne sont pas tant, dans le cas de xXx, un moyen pour le héros d'être physiquement plus apte, qu'une partie d'une culture de niche, essentiellement adolescente, qui mêle jeux vidéo, skateboard et tatouage. Le sport n'est qu'un élément parmi d'autres dans cet imaginaire. La référence ne semble ainsi pas pouvoir échapper à un éclectisme purement formel. Le traitement des formes et attitudes du sport est similaire dans Batman & Robin (Joel Schumacher, 1997), pourtant basé sur l'univers du comic book. Le spectateur y rencontre de méchants hockeyeurs, que les super-héros poursuivent en patin à glace avant de surfer dans le ciel sur les débris d'une fusée, ou encore de participer à des courses sauvages en moto. Toutes les références, de la culture surf au cyberpunk, se télescopent et relèguent finalement la performance sportive elle-même au second plan. En somme, malgré le fait que la pratique sportive semble contenir la forme primitive du film d'action, de par son rapport au corps et à la dépense, il apparaît que ce thème, en plus de rester marginal, tend à marginaliser les films qui l'exploitent. Alors que le sport repose sur des règles, le film d'action tend, tout en sollicitant le corps de façon extrême à redessiner sans cesse la cartographie des possibilités du corps, en direction d'un possible héroïsme. L'héroïsme qui émerge dans les films de base-ball, ou de boxe (pour ne citer qu'eux) est en revanche oublié des sports extrêmes qui pourtant intègrent l'attente de faits spectaculaires qui circonscrit le genre Action. À être extrêmes, les sportifs de Terminal Velocity et xXx n'atteignent pas l'impossible par le corps, mais au contraire la familiarité de références culturelles associées aux sports cités. Cet impossible reste pensable, car localisé dans un système de références connu - l'action sportive ne requalifiant finalement pas l'Action.

Conclusions

La chair, visibilité exacerbée du corps, pose fondamentalement la question de l'origine de celui-ci, et plus largement du héros et de ses critères de définition. Le corps est le véhicule du héros, la machine qu'il utilise pour accomplir ses hauts faits - mais bien avant de réaliser son but, le muscle, qui se substitue au corps entier, est déjà plein de cet héroïsme dont il est la signature. Cette forme du corps pose également la question de son en-dessous. Ce n'est plus : "D'où vient le héros ?" mais "De quoi est-il fait ?". Alors que les corps de Schwarzenegger et Stallone, véritables fers de lance du genre Action dans les années 80, semblent imposer de film en film la même évidence de chair, le corps par association sort de lui-même et évoque le métal fondu, le cuir recousu. Au centre de ces évocations, une double origine symbolique vient définir le corps, entre une "naturalité" revendiquée dans la chair et une mécanique réelle (Terminator) ou suggérée (Rambo, machine à tuer).

Un motif historique accompagne ce balancement. Sauvages, en contact avec la nature, les corps des films d'Action des années 80 cèdent la place à des corps domestiqués dans les années 90 - ce sont souvent les mêmes, puisque des acteurs comme Schwarzenegger ou Stallone incarnent des pères de famille, ou tout simplement des personnages plus urbains. Annonçant cette évolution, Bruce Willis fait passer l'action des jungles vietnamiennes au quadrillage des villes comme Los Angeles et New York : il ne s'agit plus de racheter un passé douloureux (guerre du Vietnam) mais de faire table rase, c'est-à-dire de fantasmer encore une nouvelle origine, un nouvel état primitif.

Machine ou vêtement, le corps du héros lui appartient comme son outil, et c'est à lui de le réparer, de l'adapter, et de le enfin coupler à des véhicules qui vont l'inscrire dans la trajectoire rectiligne que nous nous sommes attachée à définir au début de ce chapitre. Le genre se balance donc entre ces deux tendances, l'une poussant le corps à envahir le plan, à excéder le regard, l'autre saisissant le corps pour mieux l'abstraire et préférer la forme de son déplacement à son véhicule, fut-il constitué de chair et de sang. Le muscle hante le film d'action, au point d'atteindre le ridicule : toute forme extrême n'étant jamais loin de sa parodie, certains films assument donc la rupture de forme, d'échelle, ainsi que le décalage de ces corps encombrants d'avec leur environnement.

Y a-t-il un salut en dehors du muscle ? Naturellement, il existe des héros moins musclés ; à y bien regarder, ils sont même aujourd'hui plus nombreux que les héros bodybuildés. Par cette question, nous souhaitions en réalité étendre la problématique du corps, en rapport avec l'héroïsme, au-delà des états paroxystiques. Car si le héros est systématiquement appelé à se dépasser, le corps peut parfois garder des proportions plus familières. Un corps qui ne se définit pas par la tension des muscles revêt d'autres qualités : dans le cas de John McClane, le muscle n'est plus ce contenant chargé de vider son énergie, puisque le personnage, véritable punching-ball, absorbe la violence des coups avant de la distribuer. Un corps moins musclé existe autrement que par sa seule visibilité, la parole prenant alors part à l'Action. Le héros n'agit plus seulement avec son corps, il en parle, décrit ses états et sa douleur. Celle-ci, au début contextualisée dans un programme masochiste au débuts du genre Action, devient ici un symptôme qui n'est pas la conséquence des heurts avec l'environnement, mais le résultat d'un épuisement psychologique que le corps tout entier doit supporter. Plus largement, le thème de la maladie semble de plus en plus intégré aux films du genre, non pas pour tempérer la force univoque du héros, mais au contraire pour lui conférer un supplément d'héroïsme. L'Action semble fournir un cadre idéal aux héros : en même temps qu'elle les soumet à la rigueur d'un parcours sans cesse répété, elle retourne aussi toute menace en atout, toute maladie en grande santé. Ce n'est pas accepter sa faiblesse qui est une force, puisque toute faiblesse cache une force qui la rachète. À ce jeu-là, le corps du héros semble tout-puissant, et l'héroïsme sans limites.

Nous avons alors tenté d'aborder le corps par le biais d'une question plus cruciale, qui continuera de mailler notre propos : y a-t-il un impossible pour le héros ? Il fallait alors définir cet impossible, tout d'abord comme travestissement enfantin qui joue à se dépasser, ou au contraire comme performance mesurée dans le cadre du sport. Dans ce dernier cas, l'échantillon de films utilisant les sports extrêmes comme variation visuelle et scénaristique nous a permis de toucher, sinon une limite du héros, au moins une limite du genre. Si la grammaire de l'exploit peut être recombinée à l'infini, sa diversification par le sport la limite à un éclectisme. L'analyse de Mission: Impossible a en revanche mis à jour une limite du corps qui vient cette fois du dedans : le corps ne travaille pas à se répandre en tous sens, mais au contraire à rester en lui-même, à limiter son contact avec le monde pour imaginer un corps hors de l'espace. Le seul espace qui reste au corps du héros est celui qu'il s'invente. Ceci nous amène alors à effectuer un pas de côté par rapport aux analyses précédentes : si le corps du héros peut semble disparaitre à force d'abstraction, ne pouvons-nous pas penser un héroïsme qui s'effectuerait sous d'autres modalités ? Nous avons jusqu'à présent évoqué des corporéités constrastées, mais celles-ci relevaient toujours d'une mise en action globale du corps, d'une performance physique. Nous allons donc tenter de déterminer si l'Action peut sortir de l'action, en proposant d'autres modèles d'accomplissement héroïque.


362. Pierre Berthomieu parle d'une "psychologie réduite et exprimée dans l'action", et d'une "expérience immédiate et sans concept de l'explosion, du mouvement, de la course" in BERTHOMIEU Pierre. Le cinéma Hollywoodien. op. cit., p. 54.
363. "Extreme sensation is represented as experienced, not within the body, but in the body's contact with the world, its rush, its expansiveness, its physical stress and challenge", in DYER Richard. "Action!". op. cit., p. 18. La citation introduit à l'origine une critique, puisque la sensation n'est du coup ressentie, selon Dyer, que par le truchement de corps masculins. Nous retenons surtout l'idée de contact ici.
364. TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 141-146.
365. HOLMLUND Christine. Impossible Bodies. 2002, p. 15.
366. JEFFORDS Susan. Hard Bodies: Hollywood Masculinity in the Reagan Era. 2004, p. 24-25.
367. Les articles français faisant usage du terme compensent généralement l'absence de traduction par une définition, tel Thierry Hoquet dans son article consacré au corps gay hystérique : "Ce nom un peu ridicule de "beefcake" fait référence à une substance qui favorise la prise de poids et permet de sculpter son corps. Il indique la matrice du corps, comme machine de transformation et fabrique de protéines.", in HOQUET Thierry. Beefcake, corps gays hystériques… Critique, 2011, p. 5.
368. JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc. Les hommes-objets au cinéma. 2009, p. 35.
369. GLASS Fred. Totally Recalling Arnold: Sex and Violence in the New Bad Future. Film Quarterly, 1990, p. 6.
370. "Both films [Pumping Iron and Pumping Iron II] repress the history of bodybuilding and the largely working-class affiliation of its contestants and audiences, choosing instead to emphasize the body as art, sculpture and timeless spectacle", ibid., p. 28.
371. "Muscles raise a familiar paradox over the coming together of naturalness and performance which Dyer has characterized in terms of the way in which muscles can function as both a naturalization of 'male power and domination' and as evidence precisely of the labor that has gone into that effect", in TASKER Yvonne. "Dumb Movies for Dumb People". op. cit., p. 232.
372. David Bigorgne parle de la tradition du péplum comme d'un "opéra musculaire", in BIGORGNE David (dir.). op. cit., p. 58.
373. Roland Barthes a ainsi identifié la sueur comme cliché des corps romains dans les péplums in BARTHES Roland. Mythologies. 1957, p. 27.
374. Ibid.
375. Ibid., p. 55.
376. Le lien entre le culturisme et le péplum est loin d'être fortuit : ce sont souvent des bodybuildeurs qui incarnent les héros de ces films, comme le montre Laurent Aknin : Mark Forest était ainsi spécialisé dans le rôle de Maciste, tandis que Reg Parks se consacrait au rôle d'Hercule ; AKNIN Laurent. Le péplum. 2009, p. 73.
377. Ibid., p. 64.
378. BORDO Susan. The Male Body. A New Look at Men in Public and in Private. 1999, p. 168-171. Susan Bordo parle de publicités parues en 1995, mais nous pouvons reculer quelque peu sa datation. En effet, c'est en 1992 que Mark Wahlberg, alors connu sous le pseudonyme de Marky Mark, s'illustre dans une séries d'affiches suggestives pour les sous-vêtements Calvin Klein. Depuis, le top model est devenu acteur, notamment dans des films d'action (Shooter en 2007 et Max Payne en 2008, entre autres) ; cf. WILSON Eric. Stretching a Six-Pack [ en ligne ]. New York Times. 12 mai 2010.
379. Yvonne Tasker. Spectacular Bodies. op. cit., p. 111.
380. Ibid., p. 109.
381. "The male protagonist is free to command the stage, a stage of spatial illusion in which he articulates the look and creates the action", in MULVEY Laura. Visual Pleasure and Narrative Cinema. op. cit., p. 13.
382. Nommé "Afterthoughts on "Visual Pleasure and Narrative Cinema" inspired by Duel in the Sun" et publié dans la revue Framework, cet article est également présenté dans l'anthologie des travaux de Mulvey, in MULVEY Laura. Visual and Other Pleasures. 2009, p. 31-40.
383. Ou en anglais : "the look" ou "the gaze", "the bearer of the look", et "the to-be-looked-at-ness".
384. "As signifiers of masculinity, muscles present a paradox since they bring together the terms of naturalness and performance", in TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 119.
385. "the body cannot be marked explicitly as the erotic object of another male look" in NEALE Steve. Masculinity as Spectacle. Reflections on Men and Mainstream Cinema. Screen, 1983, p. 7.
386. "the otherwise erotically suggestive display of his bare chest throughout the film is diverted as an object of military training, "a fighting machine" ", in JEFFORDS Susan. The Remasculinization of America. op. cit., p. 13.
387. "A limitation of Tasker's work is that she identifies muscles as a sign but does not examine in very details what it is that those muscles do. This is the effect of taking the action out of action cinema. The muscular body is not only a body with the potential for action but is continually shown to be a body in action. Approaching the body as a sign of meaning may obscure the reading of the body as a source of doing, neglecting how the body produces meaning precisely through doing" in McDONALD Paul. op. cit., p. 182.
388. JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc. Les hommes-objets au cinéma. 2009, 128 p.
389. Ibid., p. 17.
390. Ibid., p. 13.
391. Ibid., p. 60.
392. Ibid.
393. Note infra.
394. Il n'est apparu que plus récemment dans des films d'Action (Iron Man 2, The Expendables), et s'est plutôt illustré au début de sa carrière dans des productions utilisant sa persona sulfureuse (9 1/2 Weeks, Barfly), mais aussi dans des films que l'on peut dire "d'auteur", tels Heaven's Gate et Year of the Dragon de Michael Cimino.
395. Cet emploi du corps de l'acteur en l'absence de ce dernier est d'ailleurs tout à fait fascinant. Dans le contexte du récit de Terminator Salvation, le corps digital de Schwarzenegger renvoie à un corps machinique, habillé d'une peau synthétique.
396. Il en existe davantage : dans Tango & Cash, Kurt Russell lance à Sylvester Stallone : "Je t'ai vu dans Conan le Barbare" ("I saw you in Conan the Barbarian") ; les références peuvent également être plus discrètes, comme dans Twins, où le personnage d'Arnold Schwarzenegger est montré en train de regarder une affiche de Rambo III.
397. Eric Lichtenfeld le note lorsqu'il commente les carrières des deux acteurs : "les héros majeurs interprétés par Stallone - Rocky et Rambo - sont des héros en devenir, alors que les personnages auxquels Schwarzenegger prête sa présence monolithique semblent être des icônes nées" ("the major heroes played by Stallone - Rocky and Rambo - are initially men in the process of becoming heroes, whereas the characters to which Schwarzenegger lends his monolithic presence seem to be born icons") in LICHTENFELD Eric. Action Speaks Louder. op. cit., p. 82.
398. "When Rambo started out as a fighting machine and ended up fleshy punching bag, the Terminator takes the opposite course, starting out as a semblance of a human being, whose flesh peels away to reveal a chassis of gleaming exoskeleton" in SHONE Tom. Blockbuster. op. cit., p. 147.
399. Les Guignols de l'info, création : Alain de Greef, France, 1988 (Canal +).
400. Ils sont "liés de manière ethnique ou nationale à l'Europe" (They are "linked either ethnically or nationally to Europe"), in TASKER Yvonne. Introduction. 2004, p. 10.
401. Même si nous ne sommes pas friande de ce genre de rapprochement, il faut se rappeler que "Dutch" était le surnom, enfant, de Ronald Reagan. Néanmoins, ce choix peut tout à fait relever d'une coïncidence (cf. JOHNSON Haynes. Sleepwalking through History, America in the Reagan Years. 2003, p. 42).
402. Jérôme Momcilovic analyse également la scène, et parle de "synecdoque" lorsque le bras se substitue à l'acteur, in MOMCILOVIC Jérôme. "Sur l'homme extraordinaire de cinéma : remarques sur l'œuvre d'Arnold Schwarzenegger". 2007, p. 190.
403. À ce cliché en correspond un autre, celui de la vitre brisée par le héros qui ne saurait trouver d'obstacle à son passage : ce topos peut être rencontré dans Terminator, Die Hard, et se trouve parodié dans The Player de Robert Altman.
404. En souvenir dans First Blood, lorsqu’il est fait prisonnier pendant la guerre du Vietnam ; dans le présent dans Rambo: First Blood Part II, lorsqu’il est torturé par son ennemi.
405. LICHTENFELD Eric. Action Speaks Louder. op. cit. p. 73.
406. Ibid., p. 68.
407. Eric Lichtenfeld relève également la particularité du "rituel du film d'action du montage rapide, qui présente la préparation de l'équipement" ("the action movie ritual of a quickly cut montage showing equipment being readied"), ibid., p. 315.
408. "[C]onventional closes-ups of legs (Dietrich, for instance) or a face (Garbo) integrate into the narrative a different mode of eroticism. One part of a fragmented body destroys the Renaissance space, the illusion of depth demanded by the narrative, it gives flatness, the quality of a cutout or icon rather than verisimilitude to the screen", in MULVEY Laura. Visual Pleasure and Narrative Cinema. op. cit., p. 12. Traduction de Valérie Hébert et Bérénice Reynaud in REYNAUD Bérénice, VINCENDEAU Ginette (dir.). 20 ans de théories féministes sur le cinéma. 1993, p. 18.
409. "Fragmented shots of the hero’s body in action and multiple-angle views of the same body signify the hero’s threatened or fractured masculinity. These films visually represent a hero’s successful combat by reviewing the image of the solitary, whole male. Such a presentation adheres generally to principles of classical cinematic narrativity. Conventions of analytical editing call for fragmented close-ups to draw attention to significant components of a larger image. In action films, though, close-ups of male heroes’ limbs and muscles often emphasize these body parts’ contributions to a functional male whole rather than their relevance to a particular scene (just as fragmented shots of the female body typically highlight the object status of that body over its narrative relevance)", in GALLAGHER Mark. op. cit., p. 58.
410. Si le français nous oblige à employer le mot "nu", il faut se rappeler que cette notion est plus nuancée en anglais et qu'elle illustrée par deux termes : "nude" renvoie à la nudité "naturelle" du corps humain, celle de la statue ou du nu peint ; "naked" renvoie à un corps à qui il manque le vêtement, et qui ainsi dévoilé est exposé, au risque de l'inconfort et de l'indécence. Le corps héroïque, tel qu'il est discuté ici, est donc plutôt "nude" que "naked".
411. "film makers have repeatedly capitalized on the contrast between glamourous festivities and their dreary aftermath. You see a banquet on the screen and then, when everybody is gone, you are made to linger for a moment and stare at the crumpled tablecloth, the half-emptied glasses, and the unappetizing dishes", in KRACAUER Siegfried. op. cit., p. 300.
412. Son nom fait également écho au McQ interprété par John Wayne environ dix ans plus tôt dans le film du même nom (John Sturges, 1974).
413. MOMCILOVIC Jérôme. op. cit., p. 183.
414. Ibid., p. 184.
415. BRENEZ Nicole. De la figure en général et du corps en particulier. op. cit., p. 32.
416. Et là encore il faut noter la différence, comme l’explique Denis Mellier : "Alors que Rambo se recoud, l'aiguille en gros plan perçant les chairs meurtries, le Terminator, lui, se bricole, écartant ce narcissisme héroïque cher au cinéma américain", in MELLIER Denis. Narcisse mécanique ou le corps fantastique d'Arnold. Vertigo, 1996, p. 147.
417. Les deux acteurs et leurs personnages respectifs s'opposent par ailleurs en d'autres points : leur incarnation de la paternité est par exemple en complète opposition, cf. HIPPOLYTE Francis, KASPROWICZ Laurent. "Le corps bodybuildé au cinéma : magie et anthropologie d'un spectacle". 2007, p. 202.
418. MOMCILOVIC Jérôme. op. cit., p. 186-187.
419. JEFFORDS Susan. The Remasculinization of America. op. cit., p. 130.
420. Un montage rapide nous apprend d'ailleurs que le personnage passe toute son enfance, puis ses premières années d'adulte, à pousser cet essieu. Le visage du héros n'est pas montré, et la transition de Conan enfant à Conan adulte (interprété par Schwarzenegger) est pratiquée par des plans centrés sur la musculature du héros, qui gagne en volume au fil des années. C'est un des rares cas où la musculature de Schwarzenneger est connectée à une explication sur son origine.
421. JELINEK Elfriede. Mort d'un homme très réservé. Trafic, 1997, p. 133.
422. Ibid.
423. MELLIER Denis. op. cit., p. 145.
424. BRENEZ Nicole. De la figure en général et du corps en particulier. op. cit., p. 34-35.
425. Il ne faudrait pas en conclure que ce rapprochement entre le corps et la machine-outil est réservé à Arnold Schwarzenegger : Chuck Norris et Sylvester Stallone utilisent également ce type d'appareils pour éliminer leurs ennemis.
426. LICHTENFELD Eric. op. cit., p. 67.
427. Il charrie avec lui les corps d'Hercule, de Conan, et d'un dieu forgeron, comme nous l'avons précédemment vu.
428. Ce sont des décors favorisés par l'Action en général : usines, friches industrielles, terrains de construction, docks jalonnés de tubes et de containers forment de véritables gymkhanas que les héros et ses ennemis choisissent pour leur dernier affrontement.
429. Ces morts grotesques sont souvent accompagnées d'un commentaire piquant de l'acteur, ici, en l'occurrence : "Relâche la pression, Bennett" ("Let off some steam, Bennett"). Les scènes finales ayant lieu dans des usines ne sont pas l'exclusivité de la filmographie de Schwarzenegger : Stallone, dans Cobra, achève son ennemi d'une manière similaire.
430. La mythologie grecque est en effet riche en héros sortis droits de la terre (les Spartes) ou modelés dans la terre (Pandora), quand ils ne sont pas enfantés par Gaïa elle-même, cf. VERNANT Jean-Pierre, L'univers, les dieux, les hommes : Récits grecs des origines, 1999, p. 19-20 ; 53 ; 78.
431. LICHTENFELD Eric. op. cit., p. 83.
432. Nous pouvons aussi relever que lorsque le colonel Trautman, mentor de Rambo, tente de dévérouiller la situation de crise générée par ce dernier et les policiers, il s'entend répondre par Will Teasle : "Voilà qui est formidable. Colonel, vous êtes simplement venu ici pour comprendre pourquoi une de vos machines a pété une durite !" ("That's just great. Colonel, you came out here to find out why one of your machines blew a gasket!").
433. "high-tech 'noble savage'" in TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 125.
434. "With Arnold, the film took a larger-than-life sheen. I just found myself on the set doing things I didn't think I would do - scenes that were supposed to be purely horrific that just could'nt be, because now they were too flamboyant", in SHONE Tom. Blockbuster. op. cit., p. 142.
435. On lit à l‘entrée "Arnold Schwarzenegger" du Dictionnaire des interprètes de films d'action publié en 1998 par Positif : "Toutefois, à nos yeux, ce prégéniteur n'a pas encore tourné de purs films d'action, car sa force étant plus grande que sa nature, elle ne peut s'exercer que dans des situations à mille lieux de l'ordinaire" ; l’acteur constituerait un "paradoxe actif". Nous retenons cette dernière remarque, bien qu'étant réservée sur la non-appartenance de l’acteur au genre, in BENALLAL Mehdi, BERTHOMIEU Pierre, CIEUTAT Michel, DAHAN Yannick, VIVIANI Christian. Dictionnaire des interprètes de films d'action. Positif, 1998, p. 89.
436. Cela est très rare dans le cas d'Arnold Schwarzenegger : autant Stallone est régulièrement torturé, blessé, autant Schwarzenegger est globalement imperméable aux balles.
437. La rupture est surtout formelle, dès lors que l'expression devient chantée plutôt que parlée dans la comédie musicale : il ne faut pas comprendre ici que le numéro a valeur d'interlude, puisque les séquences musicales participent activement, dans ce genre, à faire progresser le récit.
438. Yvonne Tasker a notamment avancé cette idée, in TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 114.
439. "[a] black undershirt is worn by Stallone in the Rambo series, Bruce Willis in Die Hard, and such muscular/masculine women as Linda Hamilton in Terminator 2 and Rachel McLish in Aces: Iron Eagles III. This black undershirt, which has become the standard costume of the genre, is functional for its ability to reveal the hero's body. The shirt is quite literally a muscle shirt, putting the hero or heroine's pumped-up body on display", in BROWN Jeffrey A. Gender and the Action Heroine: Hardbodies and the "Point of No Return". Cinema Journal, 1996, p. 64.
440. En anglais : "to put on more deltoids", le verbe "to put on" renvoyant plus explicitement au domaine de l'habillement.
441. "Les bons bodybuildeurs réfléchissent de la même manière...qu'un sculpteur. Si on y pense, on se regarde dans le miroir et on se dit, d'accord, j'ai besoin de plus de deltoïdes... pour que les proportions soient justes, et... vous vous entraînez pour mettre plus deltoïdes, tout comme un artiste viendrait ajouter de l'argile de part et d'autre" ou dans la version originale, plus parlante : "The good bodybuilders have the same mind...that a sculptor has. If you analyze it, you look in the mirror and you say, okay, I need a bit more deltoids...so that the proportion's right, and... you exercise and put those deltoids on, whereas an artist would just slap on some clay on each side".
442. DE KUYPER Éric. Le corps, fabrication Hollywood. Trafic, 1997, p. 133.
443. Ibid.
444. THOMAS Deborah. "John Wayne's Body". 1996, p. 79. Cependant, selon Deborah Thomas toujours, nous pouvons noter que ce torse, pour autant qu'il est invisible est exposé à de nombreux traitements de choc. Stallone est ainsi mis à l'épreuve de câbles électriques, torse nu, tandis que John Wayne reçoit nombres de flèches en cet endroit précis du corps.
445. Ce slip renvoie d'ailleurs très directement aux concours de culturisme, dans lesquels ce vêtement minimum permet au spectateur d'apprécier tous les muscles du corps.
446. DE KUYPER Éric. op. cit., p. 134.
447. La taille réelle de Sylvester Stallone a ainsi fameusement fait débat, même s'il n'est pas le premier (Alan Ladd, déjà, devait se tenir sur une caisse pour ajuster sa taille à celle des actrices ; cf. JULLIER Laurent, LEVERATTO Jean-Marc. op. cit., p. 39). Sur le site IMDb, il est indiqué que Stallone mesure 1,77 m. Cette information est généralement reprise sur le Web, mais n'empêche pas les débats (cette taille serait faussée par le port de chaussures adaptées). Récemment, la question a été relancée lors de la sortie de The Expendables en 2010. Sur l'affiche du film, il semble clair que la taille de Stallone a été modifiée, puisqu'il apparaît aussi grand que Bruce Willis et Dolph Lundgren (1,83 m et 1,96 m respectivement). Cf. "Italian Stallion is boss: 'Expendables' director Sylvester Stallone made 'taller' for movie's poster" [ en ligne ]. New York Daily News. 2 août 2010.
448. L'analyse de Mission: Impossible III de Cyril Beghin va dans ce sens : "Réduit à un état de silhouette générique, figure noire battant bras et jambes dans les airs, il s'envole avec l'image" ; Tom Cruise est également décrit comme un "petit corps qui tombe", in BÉGHIN Cyril. Pour une histoire des mouvements (3) : L'étendue des actions. Cahiers du Cinéma, 2006, p. 91.
449. "In Hollywood action pictures such as Die Hard and Lethal Weapon, the hero is bruised but never beaten: like an inflatable rubber clown, he bounces back with an idiot grin for more", in DARGIS Manola. "Pulp Instincts". 2000, p. 120.
450. On reconnaît ici un topos typique du film d'espionnage. Le mal de tête se charge justement de requalifier l'acte.
451. DE BAECQUE Antoine. Le lieu à l'œuvre, Fragments pour une histoire du corps au cinéma. Vertigo, 1996, p. 11.
452. Ibid.
453. BRENEZ Nicole. De la figure en général et du corps en particulier. op. cit., p. 19.
454. Cf. VIVIANI Christian. Le Western. op. cit., p. 160.
455. On trouve notamment ce couplage du plan subjectif et du son du battement de cœur assez fréquemment dans le film d'horreur, ou dans des scènes décrivant le malaise d'un personnage, indépendamment d'un genre précis : c'est le principe de la focalisation interne.
456. Wanted n'est certainement pas le premier film à faire usage de cette variation : mais celle-ci relève d'un agrément formel dans la plupart des cas. Ici, la caméra doit suivre la balle, puisque l'assassin et sa cible ne sont pas coprésents.
457. MOINE Raphaëlle. Les femmes d'action au cinéma. 2010, 128 p.
458. Ibid., p. 33-66.
459. En revenant à Clover, le lecteur rencontrera des films comme Act Of Vengeance (Bob Kelljan, 1974), Lipstick (Lamont Johnson, 1976), I Spit on Your Grave (Meir Zarchi, 1978), Ms. 45 (Abel Ferrara, 1981), The Accused (Jonathan Kaplan, 1988) et dans une certaine mesure Thelma and Louise (Ridley Scott, 1991). À la différence de films antérieurs traitant du viol d'un personnage féminin (tel Straw Dogs, Sam Peckinpah, 1971), ces films présentent des victimes qui retournent la situation de domination dont elle ont fait l'expérience pour devenir les tortionnaires de leurs agresseurs ; cf. CLOVER Carol J. Men, Women and Chain Saws. Gender in the Modern Horror Film. 1992, p. 114-165.
460. WILLIAMS Linda Ruth. "Ready for action: G.I.Jane, Demi Moore’s body and the female combat movie". 2004, p. 169.
461. "In order to function effectively with the threatening, macho world of the action picture, the heroine must be masculinized. The masculinization of the female body, which is effected most visibly through her muscles, can be understood in terms of a notion of 'musculinity'. That is, some of the qualities associated with masculinity are written over the muscular female body. 'Musculinity' indicates the way in which the signifiers of strength are not limited to male characters.", in TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 149.
462. MOINE Raphaëlle. Les femmes d'action au cinéma. op. cit., p. 26.
463. O'DAY Marc. "Beauty in Motion. Gender, spectacle, and action babe cinema". 2004, p. 201-218.
464. Il faut préciser, car dans les années 90, les James Bond girls cessent de représenter de simple accessoires pour aider plus activement l'action (Michelle Yeoh dans Tomorrow Never Dies en 1997, Halle Berry dans Die Another Day en 2002).
465. MOINE Raphaëlle. Les femmes d'action au cinéma. op. cit., p. 97.
466. L'actrice Pam Grier apparaît également dans ce film. À ce jour, elle est la seule actrice noire à avoir mené une carrière durable d'héroïne d'Action - ses apparitions les plus célèbres restent Coffy (en 1973, dans le contexte de la blaxploitation) et Jackie Brown (une relecture du genre par Quentin Tarantino en 1997).
467. TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 38.
468. Aux années de la blaxploitation ont succédé des films mineurs qui reformulaient tout juste des scénarios existants, en leur ajoutant la spécifité de l'acteur noir (tels Black Cobra en 1986, The Black Eliminator en 1978).
469. "Within a representational system that constructs black men as either hyper-sexualised or passive castrated figures, the representation of the black action hero is more than a little fraught. A totally passive hero is a contradiction in terms, whilst an aggressively active black hero seems to provoke altogether too much anxiety for Hollywood to deal with", in TASKER Yvonne. Spectacular Bodies. op. cit., p. 40.
470. BRENEZ Nicole. De la figure en général et du corps en particulier. op. cit., p. 133.
471. Ibid., p.137.
472. Il n'est pas rare dans les films d'Action de voir des scènes où le héros se cache, se dissimule, ce qui rompt un temps le rythme effréné de la course. On peut voir des exemples de ces scènes d'action discrètes, qui font appel aux leurres et aux déguisements, dans toute la série Mission: Impossible, dans Eraser (Chuck Russell, 1996), ou Gone in Sixty Seconds (Dominic Sena, 2000).
473. "his body is also reduced to a graphic element of the composition", in ARROYO José. "Mission: Sublime". op. cit., p.
24.
474. Ibid.
475. Nous pensons ainsi à Barthes commentant les photos de gouttes en suspens, se disant "trop phénoménologue pour aimer autre chose qu'une apparence à [sa] mesure" ; le supplément de réel qui paraît surgir d'une telle représentation éloigne en fait de la réalité qu'elle décrit. Avec des enjeux différents au cinéma, surtout dans le cas d'une goutte qui n'a d'existence que numérique, l'observation nous semble néanmoins valable, in BARTHES Roland. "La Chambre claire". 2002, p. 814.
476. "divorcing an object from its properties", in ARROYO José. op. cit., p. 25.
477. "the knife is dangerous not because it can pierce but because it can fall", ibid.
478. AMIEL Vincent, COUTÉ Pascal. op. cit., p. 106.
479. Nous pensons à Perfect (James Bridges, 1985) avec John Travolta et Jamie Lee Curtis, ou à Double Impact avec Jean-Claude Van Damme. Ce champ inclut également les films des années 80 qui situent leur action dans l'univers de la danse tels Staying Alive (Sylvester Stallone, 1983), Flashdance (Adrian Lyne, 1983) et Footloose (Herbert Ross, 1984).
480. C'est le cas de Spider-Man, à qui poussent des muscles le temps d'une nuit, ou Hulk, qui les fait éclater comme des bourgeons. Cet aspect gagne même des héros qui ne tiennent pas du super-héros : Jason Bourne, en devenant amnésique, découvre un jour un physique dont la forme ne lui dit rien - seule l'Action lui permet de se découvrir une intimité avec son propre corps.
481. JELINEK Elfriede. op. cit., p. 132.
482. Ibid., p. 137.
483. On lit dans un extrait du dossier de presse : "Ford savait que les cascades de ce quatrieme épisode exigeraient un considérable investissement physique. Il s'imposa donc un entraînement très strict pour limiter au strict minimum le recours à une doublure" in "Des héros et des méchants" [ en ligne ]. 2007.
484. Nous omettons ici volontairement Point Break (Kathryn Bigelow, 1991), qui, s'il expose l'enquête d'un policier dans le milieu du surf, met davantage l'accent sur l'expérience mystique associée à ce sport qu'à ses propriétés physiques.
485. Le héros d'Action n'a jamais en effet l'expertise d'un seul domaine : Rambo voit ainsi ses qualités listées, puisqu'il est dit qu'il est "qualifié en armes légères, soins médicaux, pilotage d'hélicoptère et dans la pratique des langues. 59 assassinats confirmés. Deux étoiles d'argent, quatre de bronze, quatre Purple Hearts" ("light weapon, medic, helicopter and language qualified. 59 confirmed kills. Two Silver Stars, four Bronze, four Purple Hearts").

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