"Could Batman do his job if he were to get a call from his wife reminding him to bring home a quart of milk?737" - Danny Fingeroth Superman on the Couch, 2004.

"man is not truly one, but truly two738" - Robert Louis Stevenson. The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde.

Introduction : du comic book au film à grand spectacle

1.1 De l'emploi du superlatif

Si le héros incarne une masculinité exemplaire et possède des qualités (morales et physiques) hors du commun, alors il semblerait tout naturel que le super-héros réalise un héroïsme hyperbolique, plus parfait que le modèle sur lequel il repose. Ainsi le super-héros, avant d'engager un champ d'œuvres lui-même problématique, constitue une difficulté en termes de concept. Le super-héroïsme est une idée qui s'exprime d'abord dans le langage et qui pose de façon immédiate la question de la relation entre deux types d'héroïsme à la fois distincts (puisqu'il faut deux mots pour les qualifier) et semblables (puisque le super-héroïsme semble dérivé de l'héroïsme, son extension, sa perfection). Ces deux définitions du super-héroïsme, l'une liée à l'héroïsme dit traditionnel, l'autre postulant une différence d'essence, cohabitent dans les écrits théoriques qui se sont emparés des comic books et de leurs adaptations au cinéma. Dans ce cadre, l'étude pionnière d'Umberto Eco, consacrée aux aventures imprimées de Superman (car publiée en 1976, avant la sortie du premier film de Richard Donner), possède un statut de référence. Ses écrits seront souvent convoqués dans les pages à venir, tout particulièrement dans le contexte de la sérialité essentielle des récits du super-héros.

Eco définit quant à lui le super-héroïsme comme se situant dans la lignée de l'héroïsme, et n'envisage pas que le super-héros puisse représenter une catégorie fondamentalement différente – et il s'agit pourtant d'une idée qui mérite examen. En effet, l'auteur pose que "le héros doté de pouvoirs hors du commun est une constante de l'imagination populaire" et que "ses pouvoirs ultra-surnaturels ne sont que la réalisation parfaitement aboutie d'un pouvoir naturel"739. Dans notre étude, nous détacherons le super-héros en tant qu'il possède une essence particulière. Précédemment, nous avons exprimé notre désir de ne pas rabattre le héros d'Action sur une figure plus ancienne, (à la manière de ce journaliste comparant Arnold Schwarzenegger à un Cary Grant musclé740). De façon similaire, nous refusons de voir, en suivant cette fois Scott Bukatman, le super-héros comme la version costumée d'un héros "classique"741. La différence entre les deux types de héros ne réside pas non plus dans la nature des exploits physiques, encore que certains super-héros (Spider-Man particulièrement) placent le corps dans des états limites rarement atteints par des héros que nous dirions "traditionnels". Plus précisément, c'est le principe de la double identité, ou celui, corollaire, du corps mutant, qui constitue la particularité du super-héros. Au fond, il faut ici s'imaginer que les héros dont nous parlerons ne seront pas seulement "plus" (plus forts, plus rapides...), mais exposeront un rapport très particulier à leur propre héroïsme, notamment en internalisant l'opposition à un contre-modèle : nous l'avons partiellement évoqué dans le chapitre précédent, en parlant de Superman et de sa relation au stéréotype du nerd.

Cette difficulté linguistique n'est pas la seule à compliquer la tâche. Les super-héros, en raison de leur médium d'origine, et plus fondamentalement parce qu'ils représentent un cas d'adaptation littéraire au cinéma, ne peuvent être étudiés sans que soit prise en compte, à défaut d'être saisie, l'étendue du champ particulier qu'est le comic book. Tout super-héros apparu dans les pages d'un de ces fascicules connaît une histoire principale de référence, mais apparaît également dans des aventures spéciales situées en dehors de ce continuum narratif habituel, quand il ne participe pas ponctuellement à des aventures de groupe (par exemple Superman, Batman, et beaucoup d'autres se retrouvent dans les pages de Justice League pour combattre ensemble le mal). Ces mécanismes narratifs sont source de complexité, et génèrent des corpus souvent vertigineux. Avant même de penser aux adaptations cinématographiques, les super-héros connaissent donc une existence déjà tortueuse, soumise au jeu de la réécriture et de la révision742.

1.2 Les origines : le comic book

C'est en effet la difficulté principale liée à l'étude des super-héros au cinéma. Ce dernier corpus est plutôt restreint et se définit aisément, mais le comic, en tant que référent, nécessiterait une étude à part entière pour mettre en lumière les ramifications qui lient les récits écrits aux formes cinématographiques qu'ils ont inspirées. À défaut de pouvoir produire une étude détaillée du support d'origine de nos personnages, nous tenterons d'éclairer ponctuellement l'analyse avec les récits que nous connaissons – consciente qu'il existe toujours un épisode, une édition spéciale pour venir potentiellement nuancer notre propos, notre ambition ici n'étant pas de produire une étude transversale du super-héros, mais bien de saisir ses incarnations dans le cinéma américain, et sa relation potentielle aux autres héros d'Action.

Les super-héros appartiennent à la culture populaire, et ont donc d'abord connu une existence de dessin, sur le papier, dans les comics. Ils ont tant porté le succès de ce support qu'il est fréquent de voir les comic books réduits aux super-héros, quand en réalité ces imprimés peu coûteux, proches des pulps dont ils sont une déclinaison illustrée743, se distinguent par la grande variété générique de leurs contenus. Ainsi, si la simple évocation de Superman appelle le comic book, il faut constater que ce support a accueilli des récits d'horreur, des enquêtes policières, des romances destinées au public féminin, etc. Inversement, le super-héros a existé en germe avant le comic book, sur plusieurs plans. Le modèle musculaire qui allait devenir celui des super-héros existait déjà chez Tarzan, mais aussi dans la culture populaire, dans le monde du cirque et la tradition des hommes forts744. Ceci vaut pour le modèle physique. En ce qui concerne les thèmes du masque et de la double identité, constants dans les récits qui nous intéressent, le début du XXe siècle est marqué par les apparitions de Fantômas (dans la littérarure en France en 1911 puis au cinéma en 1913) et Zorro (dans un pulp en 1919 puis au cinéma en 1920), qui ne présentent pas des caractéristiques surhumaines, mais vivent déjà les complications générées par la possession d'une identité à la ville, et d'un alter ego hors du commun.

Sur le plan narratif, deux caractéristiques particulières aux récits de super-héros méritent d'être soulignées. La sérialité, déjà évoquée, n'est pas non plus propre au comic book : Umberto Eco parle d'ailleursde Superman en ayant préalablement abordé Rocambole et les feuilleton du XIXe siècle. Cependant, cette sérialité met potentiellement à mal toute étude consacrée au super-héros. La nécessité du renouvellement permanent, inhérente au comic book et à son mode de publication a imposé aux auteurs d'explorer tous les développements applicables à un personnage, jusqu'à épuisement : de fait, Superman n'est plus dans les comics l'être monolithique que Eco décrit en 1976745. Lorsqu'il surgit dans The Dark Knight Returns (1986) de Frank Miller, il apparaît comme un quinquagénaire désabusé, acquis à la cause d'un gouvernement corrompu qui l'utilise comme une arme (fig. 109). Dans une version radicale de récit parallèle (ceux-ci sont nombreux), l'histoire de Superman est réécrite depuis l'origine, et envisage que le vaisseau qui transporte le héros encore enfant ne s'écrase pas dans le Kansas mais au cœur de la Russie746 – Superman devenant dans cette hypothèse un défenseur du communisme. Là encore, nous ne pouvons faire la liste de toutes les variantes de récits existant pour chaque super-héros présenté dans ce chapitre : il faut du coup tenter l'effort inverse, et trouver des dénominateurs communs entre les différents récits de super-héros.

La récurrence du trauma comme moteur du récit apparaît comme une seconde caractéristique narrative. Alors que le héros prend souvent en charge une situation critique située en dehors de lui747, les personnages deviennent des super-héros le jour où ils sont exposés à un trauma violent, qui va devenir le fondement de leur identité, et très souvent la raison de la schize : Superman est sauvé par ses parents de la destruction de leur planète ; il est un orphelin total, déraciné, sans peuple. Batman perd ses parents, tués par un malfrat dans une ruelle ; Spiderman perd son oncle lors d'une agression dont il est partiellement responsable. Tous sont proches de Tarzan en raison de leur musculature, et comme lui, ils ont été séparés de leur famille (et souvent de la société, au moins partiellement) et ont dû dès lors s'inventer une autre vie, une autre identité. Devenus héroïques pour surmonter une souffrance, les super-héros répondent d'une attitude sacrificielle, que d'aucuns n'hésitent pas à qualifier de christique. Même si nous avons volontairement tempéré ce type d'approche (qui renvoie tout récit américain à un sous-texte religieux, au prétexte d'un substrat culturel supposé puritain748), force est de constater que l'analogie n'est pas perdue pour les auteurs de récits de comic books, ou au moins d'adaptations. Dans la récente série Smallville749, retraçant les aventures du jeune Clark Kent avant que celui-ci ne devienne Superman, le personnage est attaché à un épouvantail, les bras en croix, un S peint sur la poitrine préfigurant son destin de super-héros – et la souffrance qui accompagne celui-ci. Smallville, Red Son, ou encore l'œuvre de Frank Miller appartiennent cependant à une tradition post-moderne qui n'hésite pas intégrer ces analyses dans les images qu'elle produit, sur le mode de la dérision ou du clin d'œil.

1.2.1 Un rapide historique

Toutefois, avant d'aborder les formes plus récentes, et plus éclectiques de ces récits, il nous faut dire un mot de l'origine de papier des super-héros, en nous référant principalement aux travaux de Jean-Paul Gabilliet et de Bradford W. Wright. Les deux ouvrages, respectivement marqués par des approches historiques et culturelles, sont précieux pour leur exhaustivité. Tout au long de son histoire, le comic book a été disqualifié comme objet d'étude peu digne d'intérêt. Le fait que le comic soit un médium populaire, principalement destiné au jeune public (enfants et adolescents) explique ce rejet. Le nom même de comic book est un malentendu ("l'une des appellations les plus inappropriées dans le monde du divertissement750"), puisque dans les faits, une grande variété générique marque les contenus diffusés sur ce support. Il n'est pas rare en France de considérer "comic book" comme un équivalent de "bande dessinée" ; or, si les comic books se définissent comme tels formellement (le principe de la série de cases illustrées), ils répondent également d'une logique de distribution sérielle et régulière (le plus souvent hebdomadaire). De la même manière, les comics sont souvent confondus avec les strips dont ils reprennent le langage graphique (le système de cases, les bulles de dialogues). Pourtant, les comic books sont nés après eux751 et relèvent d'une stratégie commerciale différente. Les premiers strips à succès, publiés autour de 1890, puisent dans le répertoire du comique de geste et dans la pratique contemporaine du vaudeville752 ; il s'agit par exemple de The Yellow Kid (1895) ou de Mutt and Jeff (1907). À cause de leur statut de supplément dans les journaux753, ces strips visent d'abord un public adulte, avant que ne soit réalisé le glissement vers les comic books quand sont publiés au début du siècle des recueils rassemblant différentes séries. Les comic books prennent d'abord la forme des funnies, fascicules bon marché et parfois gratuits rassemblant des bandes illustrées dès 1900, mais de manière plus manifeste dans les années 30, avec Famous Funnies, New Fun (1935, par DC), Funnies on Parade (le premier à être désigné comme "comic book") et The Funnies (1936)754. Ainsi, il est important de distinguer, malgré une grande proximité graphique, les strips des comic books, les premiers étant destinés aux adultes, les seconds, davantage marqués par l'esprit de série, visant un public adolescent755.

L'identité du comic book est aussi véritablement ancrée dans son format. Si le principe de comic book existe déjà en germe dans les premiers fascicules rassemblant des funnies, il faut attendre 1933 pour que deux employés d'Eastern Color décident, pour des raisons de rationalisation des coûts, de couper en deux le format tabloïd et de l'utiliser comme la base d'un folio, obtenant ainsi un objet relié de huit pouces de largeur sur onze de hauteur (soit environ vingt par vingt-huit centimètres)756. En termes commerciaux, les années 30 voient le comic book faire l'objet d'une stratégie de thématisation757 visant à fidéliser la clientèle. En cela, le comic adopte une orientation générique fonctionnant déjà à plein au cinéma et dans les pulps. Si les petits éditeurs prolifèrent dans les années 30-40, les deux futurs grands noms de l'édition de comic books existent déjà. Le premier, DC, tire son nom de sa première publication thématique, Detective Comics758, qui rompt avec le modèle des funnies pour s'orienter vers des histoires policières ou de justiciers. Format constant, impression approximative, maisons d'édition encore confidentielles : c'est de ce mode de fabrication "cheap" que le comic tire son identité.

fig. 109

fig. 109 : Âgés mais toujours aptes au combat, Superman et Batman s'affrontent dans Batman: The Dark Knight (1986), la relecture sombre et cynique de Frank Miller.

L'histoire des comic books est aussi celle d'un antagonisme entre les deux "grands" de la publication, DC et Marvel. En termes d'image, DC possède des connotations plus classiques (grâce aux emblématiques Superman et Batman) tandis que Marvel s'est toujours distingué par un humour et une ironie plus affirmés. Les deux éditeurs ont cependant connu de nombreuses appellations (DC s'est d'abord appelé National Periodical Publications, tandis que Marvel s'est nommé Timely Comics de 1939 à 1950, et Atlas Comics dans les années 50759) et leurs identités respectives ne se sont que progressivement solidifiées. C'est chez DC qu'apparaît Superman en 1938 dans la série Action Comics, titre dont la terminologie renvoie à cette logique de thématisation que nous avons précédemment évoquée. Même si The Shadow naît dans les faits trois mois avant Superman, c'est bien entendu ce dernier qui sera retenu par l'Histoire comme le premier super-héros. Dès 1939, les aventures du personnage sont publiées dans Superman, un fascicule qui lui est dédié760. Après 1938, les super-héros prolifèrent, et s'illustrent souvent dans des fascicules qui leur sont consacrés. DC est copié (et doit parfois recourir aux procès) et n'hésite pas non plus à se copier lui-même. Les dirigeants de la maison d'édition avaient en effet accepté avec de nombreux doutes la création de Siegel et Schuster ; Batman, autre super-héros célèbre de la période, est en revanche le résultat d'une commande761, clairement orientée pour produire un avatar de Superman aussi rentable que son modèle. Le personnage apparaît en 1939, créé par Bob Kane alors commissionné pour créer un autre super-héros en costume. L'homme chauve-souris s'illustre d'abord dans les Detective Comics publiés par DC, tandis que Wonderwoman apparaît en 1941, chez le même éditeur. Première super-héroïne, elle sera suivie par Supergirl en 1959, créée quant à elle à la demande des lectrices.

Après les succès des super-héros dans les années 30 et la diversification qui en a découlé, le comic a également connu de nombreuses difficultés. Dans les années 40, des voix762 s'élèvent pour contester la place du comic dans la culture populaire, et affirmer les dangers potentiels de telles lectures pour la jeunesse. En 1953, un comité contre la délinquance juvénile (United States Senate Subcommittee on Juvenile Delinquency) est formé au Sénat. L'année suivante, l'industrie du comic book fait l'objet d'auditions, et se retrouve particulièrement ciblée pour la violence de ses contenus, dénoncée comme une cause possible de l'augmentation de la délinquance chez les jeunes. Ce discours sera repris et étayé par Frederic Wertham, qui devient dans les années 50 le détracteur le plus acharné des comic books. Le discours de Wertham a souvent été expliqué par le contexte plus général du maccarthysme : cependant, si la bataille du psychologue contre les comics relève par certains aspects d'une croisade conservatrice, il faut se rappeler que Wertham était avant tout un libéral763, connu par ailleurs pour ses actions progressistes (il est un des premiers thérapeutes à avoir reçu et traité des Afro-Américains avec les méthodes jusqu'ici réservées aux blancs764). Wertham publie Seduction of the Innocent en 1954, un ouvrage dans lequel il expose les effets néfastes des comics sur la jeunesse. À l'origine, c'est surtout le comic d'horreur qui est la cible de ses critiques. Cependant, les super-héros ne sont pas en reste, et c'est tout particulièrement la relation entre Batman et son jeune sidekick, Robin, qui est épinglée pour son contenu homosexuel latent765. Souffrant des interdictions prononcées par les commissions de censure, les éditeurs de comics suivent une stratégie qui n'est pas sans rappeler celle de la MPAA, et se rassemblent en un comité, le Comics Magazine Association of America (CMAA) pour se soumettre volontairement à ce que Gabilliet appelle un "code d'auto-régulation", proche dans l'intention du code Hays766. Ainsi "nettoyés" de tout contenu choquant ou considéré comme inadéquat, les comics deviennent des lectures plutôt ennuyeuses, et il n'est pas surprenant qu'à la suite de ces nouvelles régulations, l'industrie du comic book ait connu une grave récession767.

Parallèlement, le comic connaît ses premiers succès, puis ses premières difficultés économiques. La Seconde Guerre Mondiale se révèle être une période faste, pendant laquelle les récits puisent tout naturellement dans l'actualité pour nourrir leurs scénarios. Nazis et fascistes constituent des ennemis tous trouvés auxquels vont s'opposer Superman (DC), Captain Marvel et Captain America (DC), ce dernier ayant été créé par Schuster et Siegel en réaction à la domination nazie en Europe. Après cette courte apogée cependant, les super-héros tombent quelque peu en désuétude, et les nouveaux numéros des comics qui leur sont consacrés ne se vendent plus aussi bien. La fin de la guerre laisse la place à l'espoir, la reconstruction, et l'explosion de la consommation de masse aux États-Unis : dans ce contexte, qui aurait besoin de super-héros ?768 D'autres genres (horreur, western, guerre, romance) profitent de cette désaffection temporaire du genre super-héroïque. Ces avanies ne signent pas pour autant la fin des super-héros, qui ont connu tout au long de leur histoire plusieurs grandes périodes. Pour désigner les premiers succès des super-héros avant et pendant la guerre, le terme de "Golden Age" est fréquemment retenu, et renvoie à la période qui s'étend des années 30 aux années 60. Superman, Batman, Captain America, Wonder Woman, mais aussi The Green Lantern et The Shadow sont les héros emblématiques de ce premier âge du comic. Suivant la période difficile des années 50, le "Silver Age", dominé par Marvel, donne une nouvelle impulsion au genre. C'est en général l'apparition de la nouvelle mouture du personnage Flash, en 1958, qui est retenue pour identifier la période, même si de fait ce sont les années 60 qui incarnent le mieux l'esprit de cette seconde vague de super-héros. Spider-Man, les 4 Fantastiques, Hulk, Daredevil et Iron Man illustrent ce moment de l'histoire des super-héros chez Marvel769, phase encore peuplée d'êtres extraordinaires, mais humanisés et fragilisés au moyen d'une psychologie plus développée (les atermoiements de Spider-Man étant exemplaires à cet égard). Il est également question, quoique plus rarement, d'un "Bronze Age" au cours duquel apparaîtraient Power Man et The Punisher. Enfin, la période se situant des années 80 à nos jours est qualifiée de "Modern Age" ou "Dark Age". Dominées par Frank Miller et ses relectures sombres et désenchantées du mythe de Batman et plus largement de la mythologie des super-héros (Sin City), ces trois décennies sont marquées par une radicalisation de la violence et la sexualité représentées dans les comics, tandis que l'esprit post-moderne propre à l'époque se manifeste par une métanarrativité plus appuyée encore qu'auparavant770.

Cette terminologie par "âges", connue des universitaires comme des fans, est généralement admise, même si le motif de l'or, de l'argent et du bronze, force un peu la catégorisation. De fait, Terrence Wandtke refuse une saisie si systématique et écarte du coup le "Bronze Age" de son découpage historique. En revanche, les autres classifications semblent reposer sur de véritables variations narratives et stylistiques771. La faiblesse des dernières catégories (Bronze, Dark) peut s'expliquer par l'évolution de l'industrie du comic book. Là où dans les années 40, ou plus tard dans les années 60, il est encore possible de classer la production de DC et Marvel en s'appuyant sur leurs familles de personnages, les années 80 amorcent un nouveau modèle. C'est d'ailleurs l'incompréhension de cette mutation qui a pu coûter cher aux éditeurs : en effet, le succès des comics de cette époque ne s'explique plus par la présence d'un personnage populaire mais plutôt par la signature d'un auteur en particulier772. Parmi eux, Alan Moore et Todd McFarlane (The Amazing Spider-Man, 1986) amènent les lecteurs à choisir Spider-Man et plus tard Spawn plutôt que l'inverse. Il s'agit là d'un autre aspect cardinal du comic book, qui repose sur l'intersection de grandes familles d'édition (DC, Marvel), de familles d'auteurs et enfin de familles de personnages.

1.2.2 Questions de graphisme et d'édition

La classification historique ne doit pas nous faire oublier un autre filtre de lecture, tout aussi important. La dichotomie qui existe entre les deux grandes maisons Marvel et DC n'est pas uniquement fonction de leur concurrence sur le même marché. Tout comme les studios pendant l'âge d'or hollywoodien produisaient un type de contenu qui déterminait leur identité, les "écuries" de super-héros que sont Marvel et DC possèdent chacune une image particulière. DC propose des héros plus sculpturaux, et généralement plus proches d'un idéal corporel antique, quasi monolithique. Le registre des couleurs reste assez constant, ou au moins bichrome : bleu et rouge773 chez Superman et Wonder Woman, vert pour The Green Lantern, rouge et jaune pour the Flash... Enfin, à l'exception des numéros spéciaux de Justice League, le travail d'équipe n'est pas véritablement de mise chez les héros DC. Ces derniers sont également plus patriotiques que leurs homologues produits par Marvel. L'approche de cette maison est marquée par l'âge de ses héros. Les 4 Fantastiques et Spider-Man sont des héros adolescents qui possèdent du même coup une psychologie plus complexe, sinon plus tourmentée. Il n'est pas rare de voir des strips consacrés aux interrogations qui habitent les personnages, beaucoup plus en proie au doute que les personnages de DC. Sur le plan chromatique, leur réunion fréquente en équipes (The Fantastic 4, The Avengers, The X-Men) donne lieu à des déploiements de costumes chatoyants et bariolés. De façon générale, Marvel est plus éclectique que DC, ne serait-ce que dans les formes physiques de ses héros, souvent hybrides et monstrueuses (Hulk, La Chose, Wolverine...). Ce motif constant du monstre chez Marvel est souvent expliqué par la "patte" de Stan Lee. Dessinateur et créateur de Spider-Man et des 4 Fantastiques, Stan Lee est devenu éditeur chez Marvel dès sa création (Martin Goodman, le fondateur de Marvel, était son oncle774) et a imposé très tôt cette orientation chez ses super-héros.

Indépendamment des identités liées à leurs "familles", il va de soi que les super-héros possèdent leurs univers propres, grandement déterminés par l'univers des dessinateurs775, mais aussi par les exigences de la commande et parfois les limitations de la censure. Bob Kane, qui connaissait intimement les rues de New York pour les avoir fréquemment arpentées, a ainsi donné naissance à l'univers urbain, sombre et presque carcéral de Batman776 (fig. 110). Doté d'une cape comme Superman, Batman est à l'origine beaucoup plus terrestre, au regard des référents graphiques déployés : il est un héros dans la ville et pour la ville, comme le seront Spider-Man et la Chose après lui. Superman lui est souvent opposé pour une raison : il est au contraire un héros du ciel, comme le rappelle la couleur bleue de son costume ; les épreuves même qui lui sont demandées mettent souvent en cause des appareils aériens (avions, fusées) ne parvenant pas à atterrir seuls. De la même façon, Spider-Man et les 4 Fantastiques ne sont pas seulement représentatifs de la tradition Marvel, mais plus spécifiquement des illustrations exemplaires du travail de Stan Lee, chez qui le super-héros, toujours en devenir, côtoie également le monstre.

Cependant, ces éléments déterminants n'interdisent pas une certaine souplesse dans les adaptations, et c'est là une des grandes richesses du comic book : parti d'un univers crépusculaire, Batman connaît des incarnations qui inversent ces connotations. Dans la série télévisée777 Batman diffusée aux États-Unis dans les années 60, le ton devient tongue-in-cheek, le registre visuel psychédélique (fig. 113). Les couleurs des costumes sont saturées, les gadgets mutent en de grotesques accessoires. Et cette adaptation ne relève pas d'un iconoclasme ponctuel mais d'une variation à part entière, qui revient qui plus est de manière cyclique, par exemple au cinéma. Les versions nocturnes de Tim Burton (1989 et 1992, en fig. 112) ont ainsi laissé la place à la lecture "pop" des deux volets réalisés par Joel Schumacher dans les années 90 (fig. 114), Batman Forever (1995) et Batman & Robin (1997). De la même façon, Frank Miller, dans les années 80, est revenu à la noirceur des comics de Bob Kane après une version moins pessimiste dans les années 50, et le tournant psychédélique de la série télévisée diffusée dans les années 60. Christopher Nolan, au cinéma, a renversé la vision de Schumacher pour retourner à une vision considérée comme plus fidèle à l'esprit du personnage (et pour ce faire, il a adapté les récits de Miller, redoublant l'aspect cyclique du traitement de Batman).

fig. 110, 111, 112, 113, 114 : Sombre et cynique, ou flamboyant et psychédélique, Batman montre la versatilité qui caractérise la réécriture des super-héros, du comic-book au cinéma.

fig. 110

fig. 110 : Le premier numéro de Detective Comics, illustrant les aventures de Batman : malgré ses coloris vifs, le ton est plutôt sombre dans le récit original de Kane.

fig. 111.1 fig. 111.2

fig. 111 : Les versions cinématographiques de Tim Burton reprennent ce registre crépusculaire.

fig. 112.1 fig. 112.2

fig. 112 : Ces deux numéros du comic Batman, publiés respectivement en avril 1958 (pour le numéro #115) et en septembre 1960 (pour le numéro #134), incarnent le versant fantaisiste du personnage : rupture des conventions, déformations, registre carnavalesque : le personnage de Batman évolue.

fig. 113.1 fig. 113.2

fig. 113 : À la télévision, puis au cinéma, Adam West prolonge cette relecture grâce à ses décors factices et une palette de couleurs digne d'un cartoon.*

fig. 114.1 fig. 114.2

fig. 114 : Après la période Burton, c'est Schumacher qui revient aux ambiances pailletées en 1997 avec Batman & Robin.*

Ainsi, pour peu que nous examinions le développement des comic books sur le long terme, il apparaît que les super-héros ne possèdent pas seulement plusieurs identités au niveau thématique (Clark Kent, Bruce Wayne...), mais aussi que cette multiplicité de visages possède un aspect structurel. Pour permettre un renouvellement permanent, les super-héros possèdent donc plusieurs personnalités (dans les récits de leurs aventures) et plusieurs incarnations de celles-ci (dans l'histoire globale qui est la leur).

Enfin, il existe une culture plus globale du comic book, qui n'est pas directement fonction des types de super-héros et des récits qui les mettent en scène ; il s'agit d'aspects qui déterminent la place du comic book au sein de la culture américaine, influencent sa réception ainsi que ses modes de lecture ou de consommation. Nous tenterons ici de retenir quelques aspects essentiels à la saisie de notre sujet. À première vue, la sérialité constitue une caractéristique essentielle du comic book et des récits de super-héros. C'est d'ailleurs une qualité sur laquelle Umberto Eco s'est attardé dans son essai de 1962778, en pointant le rapport au temps très particulier qui est suscité par le principe de série propre au comic. De par son mode de publication, le comic doit sans cesse, et ce, quel que soit le personnage, inventer de nouvelles situations, tout en reposant sur un "schéma itératif779", autrement dit un principe de répétition. Le plaisir de la lecture ne vient donc pas seulement de la découverte d'éléments nouveaux, mais aussi de la reprise d'éléments familiers : cette structure est commune à de nombreuses créations, des feuilletons du XIXe siècle aux séries policières telles que NCIS. Cette formule alliant nouveauté et répétition est aussi par excellence celle des adaptations cinématographiques du genre, qui combinent inventions et figures extraites d'un répertoire connu. Selon Eco, l'aspect sériel du comic Superman le condamne à faire exister ses personnages et situations dans un "présent immobile780". En effet, le temps ne s'écoule pas dans les aventures de papier de Superman. Les épisodes se suivent, sans indication qui nous permettrait de localiser un épisode par rapport à un autre. D'autre part, les événements qui se produisent dans un épisode n'influencent que rarement l'épisode suivant. Superman, mais aussi beaucoup d'autres héros après lui, vivent dans une temporalité figée, alors que le principe de sérialité semble suggérer une forme de durée. Chez Superman, certains événements pourraient bouleverser l'ordre établi ; par exemple, le super-héros pourrait révéler son identité à Lois, et enfin l'épouser. Mais cet événement radical, vers lequel le récit tend tout entier, ne peut se réaliser : cela reviendrait à terminer l'histoire781. Le comic a donc recours à différentes manœuvres pour garantir le renouvellement des récits, tout en maintenant ce temps idéal qui empêche le vieillissement des personnages. Avant d'aborder les modes de diversification narrative propres au comic book, il nous faut signaler que l'aspect répétitif des récits n'est pas seulement fonction du contenu textuel des fascicules. La redondance des scénarios provient également de l'aspect industriel de la production : le comic était un médium de masse, peu coûteux, composé pour être produit et décliné rapidement. En conséquence, la répétition n'affecte pas seulement les scénarios, mais devient également un aspect de la production graphique. Jules Feiffer, l'ancien assistant de Will Eisner, explique qu'il était courant pour les illustrateurs de reprendre les cases d'un autre auteur, de copier un cadrage ou les poses d'un personnage. Cette pratique répond à l'appellation de "swiping782". Feiffer défend cette pratique, qui constituerait même selon lui "un art à part entière783". En effet, la sérialité du comic se déploie sur plusieurs niveaux : les aventures d'un même personnage se succèdent, les déclinaisons de super-héros s'accumulent, et, grâce à ce système avoué de la copie, c'est tout un niveau d'intertextualité, littéraire et graphique, qui se déploie.

Le renouvellement, cependant, reste une nécessité première. Pour parvenir à cette fin, une première stratégie consiste à "accessoiriser" le super-héros. La déclinaison ainsi produite peut concerner des objets (les multiples gadgets de Batman), mais aussi des personnages. Observons l'exemple de Batman : l'arrivée du personnage de Robin en 1940 a permis d'enrichir les récits. Ce renouvellement étant de courte durée, ou achoppant sur la même répétitivité des histoires, la déclinaison doit se poursuivre : les personnages de Batgirl784, Bat-Hound et Bat-Mite ont ainsi alimenté la mythologie, sur le mode de la collection qui est déjà suggéré par la sérialité des fascicules. Superman obéit au même principe, et son identité se décline dans une "super-famille" comprenant Superboy, Supergirl, Krypto le superchien (Krypto the Superdog). La deuxième stratégie est repérée et commentée par Umberto Eco : elle consiste à s'extraire de ce continuum qui n'en est pas un pour proposer des histoires fantasques, à l'aspect plus onirique encore que les récits traditionnels. Eco les nomme "imaginary tales785" ("récits imaginaires") puisqu'en effet, il est dit à la fin de l'histoire qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Ceci permet par exemple de réaliser des développements habituellement interdits (Clark épouse Lois) tout en conservant la cohérence du récit global. Eco rapproche cette catégorie des "untold tales", "récits déjà racontés mais où "l'on avait omis de dire quelque chose" si bien qu'on les re-dit, sous un autre-angle, découvrant ainsi des aspects latéraux786". En somme, il s'agit globalement de récits parallèles permettant de renouveler la mythologie tout en conservant une ligne narrative principale, plus "classique"787. La combinaison de récits attendus et d'autres fonctionnant comme des surprises reprend une fois encore ce schéma propre au divertissement populaire, depuis Rocambole : l'alchimie entre familiarité et inconnu. Enfin, une troisième stratégie inverse la première : plutôt que de procéder au renouvellement grâce à une déclinaison baroque d'accessoires et de personnages, les auteurs peuvent également essentialiser le récit. Cette pratique est plus connue par les fans sous le nom de "reboot". Il s'agit bien de relancer toute la mythologie d'un personnage, de pratiquer un retour aux sources, en somme. Tous les épisodes jusqu'alors racontés sont effacés, et une nouvelle ligne temporelle est instaurée. Batman: Year One (1987) constitue un exemple de reboot. Scénarisé par Frank Miller, ce récit retrace l'histoire de Batman depuis ses débuts.

La liste des procédés de renouvellement narratif (et parfois du même coup graphiques) ne s'arrête pas à ces développements uchroniques. La terminologie consacrée comprend aussi les termes de re-imaging (changement du dessin du héros), revamp (changement d'aspects narratifs ponctuels, et éventuellement du dessin) et retcon. Ce dernier terme, qui renvoie à la terminologie "retroactive continuity", se rapproche des "untold tales" : il s'agit de revenir à une histoire précédemment racontée pour aller y puiser un détail d'importance pour la résolution ou la compréhension du récit en cours. La multiplication des retcons et reboots pose parfois de véritables problèmes de continuité. DC est célèbre auprès des fans pour avoir abusé de ces ressorts narratifs jusqu'à la confusion788 : ainsi, Batman: Year One a été suivi de Batman: Year Two, alors même que Crisis of the Infinite Earths relançait parallèlement d'autres aspects de l'histoire de Batman. Pour résoudre les conflits entre les histoires, une troisième série Zero Hour: Crisis in Time a rétabli une forme de cohérence, en supprimant néanmoins Batman: Year Two de son continuum.

Cette terminologie a été élaborée par les éditeurs eux-mêmes (le terme de retcon ornant parfois les couvertures) mais aussi par les fans, et ces derniers jouent un rôle absolument capital dans la production même du comic book. Un exemple peut laisser envisager la teneur du rôle du fan : après la disparition de Captain America dans les années 60, son retour est préparé dans un épisode de la série Strange Tales, dont The Human Torch est le héros. Ce dernier doit faire face à un imposteur tentant de se faire passer pour le "Cap" : à la suite de cet épisode, les lecteurs étaient invités à écrire à la maison d'édition s'ils souhaitaient le retour effectif du personnage789. C'est bien sûr l'intérêt constant des fans qui a pu garantir une partie du succès économique des héros DC et Marvel, mais leur rôle ne se limite pas à consommer les comic books. La position du fan de comic book est essentiellement active, et l'écriture des scénarios par les grandes maisons d'édition s'est souvent effectuée sur un mode participatif. Ainsi, Supergirl a été créée à la demande des lectrices de Superman ; en 1984, Spider-Man, alors en perte de vitesse, se voit attribuer un nouveau costume noir, choix qui provoque la colère des lecteurs les plus assidus790. Les fans ont également trouvé grâce au Web de nouvelles plateformes pour discuter de leur passion commune (sites, forums...) mais aussi pour influencer les éditeurs, et par extension les producteurs d'adaptations cinématographiques. Lorsqu'une nouvelle production est annoncée, les fans sont en général à l'affût des choix de castings qu'ils jugent erronés ou des trahisons vis-à-vis de l'histoire originale. Sans surestimer leur importance, il faut reconnaître que les fans ont un impact certain sur l'industrie du comic book et ses ramifications (notamment au cinéma), en raison de leur rôle de prescripteurs791.

1.2.3 La culture du comic book de nos jours

Les comic books ont su susciter l'engouement dans les années 40, puis dans les années 60, mais peu d'éditeurs ont survécu aux années les plus difficiles. Aujourd'hui, la plupart des super-héros classiques voient encore leurs aventures sur papier déclinées mensuellement. Cependant, la rentabilité du support est loin d'égaler celle des décennies précédentes. L'arrivée sur le marché américain du manga a considérablement changé le paysage de la bande dessinée, tandis que les programmes télévisés à la demande, les chaînes câblées, les jeux vidéo et les contenus Web, pour ne citer qu'eux, constituent une concurrence de taille face à laquelle le comic book a du mal à s'imposer. Depuis son apparition, le comic book a pu apparaître en osmose, ou au contraire en décalage, avec les attentes de ses jeunes lecteurs. La jeunesse même de la cible est elle-même devenue toute relative, au fur et à mesure que les générations d'amateurs de comics ont grandi, et ont pu retourner au comic par nostalgie comme par intérêt. Le statut du comic, aujourd'hui, est autant fonction de la nature des récits que de l'objet lui-même. Ce petit fascicule, aux dimensions précises, est à présent un objet de collection, une forme d'un autre temps, un représentant de cette classe d'objets dits vintage. Ces connotations passéistes peuvent être une faiblesse, puisque la jeunesse américaine peut alors lui préférer des formes nouvelles (le manga) aux traditionnelles productions de DC et Marvel, mais elle permet également, comme cela est arrivé au western, des retours à une forme dont les connotations se sont enrichies, puisqu'elle est devenue représentative de son époque et possède du coup un vernis d'authenticité et même de qualité, bien loin de son statut culturel d'antan.

Partiellement boudée par les adolescents792, la mythologie super-héroïque a donc récemment accédé à un statut culturel réévalué. C'est d'abord tout un pan de la récente littérature américaine qui s'est penché sur le creuset des super-héros. Michael Chabon793 a réécrit l'histoire de leur invention : dans The Amazing Adventures of Kavalier & Klay (2000), l'auteur raconte la jeunesse de deux cousins juifs vivant à New York en 1939. Le premier, Klay, est immigrant de la seconde génération, l'autre, Kavalier, un jeune Tchèque exilé, a pris la fuite devant la menace nazie. Les deux personnages, illustrateurs, apparaissent clairement inspirés par les figures de Siegel et Schuster. Le récit présente de façon critique et réflexive les efforts déployés par le duo pour intégrer l'industrie du comic book. The Escapist, le super-héros qui naît de la collaboration des deux cousins794, est inspiré par Harry Houdini et une pratique personnelle de la magie chez Josef Kavalier – il évoque aussi Fantômas qui n'est pas cité. Le récit travaille à rassembler des icônes de la culture populaire (Houdini, mais aussi Superman) et des emblèmes de la culture juive (le Golem tient là une importance certaine). The Fortress of Solitude (2003), de Jonathan Lethem, tout en relevant d'un positionnement différent face au thème des super-héros, révèle une intertextualité similaire. Son titre, en premier lieu, reprend le nom du repaire de Superman, la Forteresse de la Solitude. Ici, ce n'est pas le comic book et son histoire qui font l'objet d'une relecture, mais bien le mythe lui-même. Le récit s'attache à deux personnages d'adolescents, amateurs de comic books, qui découvrent un anneau magique795. Cet accessoire permet à celui qui le porte de voler et de devenir invisible. Le regard porté sur les super-héros chez Lethem participe d'un fort désenchantement : la qualité de super-héros est décrite comme fondamentalement accidentelle et même secondaire dans la vie des personnages, sur un ton qui n'est pas sans rappeler le film Unbreakable. L'exploit est encore imaginable, mais sa portée est faible face à au poids du quotidien et de la réalité sociale. Cette dichotomie, ici approchée avec cynisme, est un des fondements des récits de super-héros, comme nous le verrons plus loin.

Ainsi, le comic book, à défaut d'entrer statutairement dans la littérature, y a fait un intéressant détour. La présence des super-héros au musée a également contribué à cette évolution du statut culturel du comic book. En 2007, la Bibliothèque Nationale de France a consacré une exposition aux héros (Héros d'Achille à Zidane, de 2007 à 2008), en accordant à Superman une place dans son Panthéon (parmi une vaste sélection de figures héroïques, d'Achille à Zidane, en passant par Jimi Hendrix et Tintin). L'intention allait ici dans le sens d'un certain éclectisme. Plutôt que de classer les héros par médium, ou par genre, des catégories transversales réunissaient des héros de toutes origines et époques : dans un espace nommé "la gâchette" étaient par exemple rassemblés Lara Croft, Jack Bauer, James Bond et les personnages de Once Upon a Time in the West. Les super-héros, en revanche, ont été identifiés comme appartenant à une catégorie à part entière. Peu de temps après, le Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme a consacré une exposition à la place des auteurs juifs dans la bande dessinée, De Superman au chat du rabbin (octobre 2007- janvier 2008). Le parcours présentait de nombreux auteurs (dont certains n'étaient pas liés à la question des super-héros, tels Alice Kominsky et Joan Sfar) et revenait sur le lien crucial qui semble unir le Golem à la représentation du super-héros.

1.3 L'adaptation du comic book au cinéma

1.3.1 Un corpus restreint

Les diverses productions et manifestations évoquées ci-dessus prennent place dans le contexte plus large d'un "retour"796 des super-héros au cinéma. Il nous faut nous attarder sur la brève histoire de ce sous-genre, avant d'explorer de manière détaillée les caractéristiques des super-héros lorsqu'ils sont extraits de leur médium d'origine, le comic book. Dès les années 40, les récits de super-héros connaissent des adaptations dans les Saturday serials destinés aux enfants. Captain Marvel, Batman, The Phantom, Captain America et Superman trouvent ainsi le chemin des écrans. Cette vague d'adaptation est freinée dans les années 50, dans le contexte de la publication de l'ouvrage de Wertham et des auditions pratiquées au Sénat, et de la popularité diminuée des super-héros. Dans les années 60, quelques productions isolées font référence à l'univers des super-héros (Danger : Diabolik de Mario Bava en 1968, ou la parodie française Mr. Freedom en 1969). L'histoire des super-héros au cinéma commence véritablement avec Superman (Richard Donner, 1978) reconnu en général comme la première production du genre, suivie de trois nouveaux volets dans les années 80 (Superman II en 1980 ; Superman III en 1983 et enfin Superman IV : The Quest for Peace en 1987). Un peu décalé par rapport à cette série, le film Supergirl (1984) doit tout de même être mentionné. Beaucoup moins ambitieux que les productions Superman, Supergirl, avec un budget inférieur à sa série de référence, ne fait que décliner les effets spéciaux introduits de manière spectaculaire par le premier Superman. Les super-héros sont loin d'avoir une existence marginale dans le cinéma des années 80-90 : Batman, principalement, occupe le box office successivement en 1989 et 1992 dans des productions réalisées par Tim Burton, puis en 1995 et 1997 dans deux versions de Joel Schumacher. Cependant, la domination de Batman sur la décennie ne permet pas de parler d'un véritable courant. Il est vrai que d'autres comic books sont adaptés, mais il s'agit alors de productions marginales797 (Darkman, en 1990, et ses suites, en 1995 et 1996 ; pensons aussi à l'échec commercial de Spawn en 1997) ou de récits ne comportant pas de super-héros à proprement parler (The Rocketeer798 en 1991, Mighty Morphing Power Rangers en 1995). En réalité, de nombreux récits de comic books sont adaptés dans les années 90, mais ceux-ci ne sont pas associés à un super-héros (The Punisher, The Crow, The Mask, Timecop...), ou alors leur position dans la mythologie reste périphérique. Dans tous les cas, c'est trop peu pour que les médias parlent d'effet de mode, même si l'intérêt reste vif pour les adaptations de récits de super-héros. La production d'une nouvelle version de Superman fait ainsi l'objet d'une rumeur constante dans les années 90, le tournage du film étant sans cesse repoussé. Il n'y a donc pas encore de vague de super-héros à proprement parler, mais des balbutiements sont perceptibles.

À la fin des années 90 et au début des années 2000, un mouvement devient identifiable avec l'augmentation du nombre d'adaptations. Ce sont les personnages les plus marquants de la mythologie qui font l'objet de nouvelles productions : le comic book n'est plus adapté de façon ponctuelle, mais devient une référence fréquente et revendiquée, comme le montrent les animations tonitruantes qui présentent les logos de DC et Marvel au début de chaque film. Le début des années 2000 est donc marqué par l'adaptation de franchises célèbres : le héros afro-américain Blade est incarné par Wesley Snipes dans trois productions (en 1998, 2002 et 2004), tandis que la série X-Men rassemble de fait un important casting, mené par Hugh Jackman (interprète de Wolverine). À la même période sort le premier épisode de la série des Spider-Man (2002) réalisés par Sam Raimi. Cette série a par ailleurs connu un précoce reboot en 2012. Il n'est en effet pas inhabituel de voir au cinéma des séries relancées peu de temps après la sortie d'une première version. Ainsi, The Incredible Hulk (2008), réalisé par Louis Leterrier, suit de peu la version de Ang Lee sortie en 2003. La formule du "reboot" a permis dans ce cas de repenser le personnage, incarné par un acteur différent (Edward Norton remplaçant Eric Bana) et associé à un avatar numérique modifié. Les Fantastic Four font quant à eux l'objet de deux films, sortis en 2005 et 2007, mais leur succès a été moindre par rapport à X-Men, qui représente la première franchise à explorer le super-héroïsme en équipe. Même si nous ne l'évoquerons qu'occasionnellement, Hellboy (et ses deux adaptations, en 2004 et 2008) doit être mentionné, ne serait-ce qu'en raison de son appartenance à la maison d'édition Dark Horse, un petit éditeur faisant figure d'outsider face aux géants Marvel et DC. Enfin, nous évoquerons le reboot de Batman en deux épisodes, Batman Begins et The Dark Knight réalisés par Christopher Nolan en 2005 et 2008. Cette liste restreinte découle de nos choix de datations.

Pour éviter de réfléchir sur des contenus trop récents, dont la réception est encore incomplète, nous avons en effet arrêté notre corpus à l'année 2006, en nous autorisant des écarts ponctuels quand une analyse aurait été biaisée par l'absence d'un film. Pour cette raison, nous devons ici nous limiter à ces quelques franchises et laisser les adaptations par ailleurs très intéressantes de Iron Man par Jon Favreau en 2008 et 2010. De la même façon, Hancock (2008), The Watchmen (2009) et Kick Ass (2010) ne seront que brièvement cités. Notre datation pose également l'inconvénient de couper certaines franchises en deux (le reboot de Batman, entre autres). Nous nous autoriserons donc ponctuellement des remarques sur la franchise dans son entier, pour éviter les contresens que peut générer l'examen d'un film comme une entité unique, alors que celui-ci, en raison des logiques de production, a été pensé dans le contexte d'une série à venir. Nous nous permettrons enfin d'écarter deux types de films. Le premier relève de la parodie, et concerne un nombre limité de productions : il s'agit de Mystery Men (1999), The Specials (2000), My Super Ex-Girlfriend (2006), Zoom (2006) et Superhero Movie (2008). Ces films sont des comédies tournant en dérision, avec plus ou moins de succès, l'univers des super-héros. Dans le cas de Superhero Movie, il est nécessaire d'être familier avec les films de super-héros puisque le film, comme d'autres productions du même acabit (Scary Movie, Meet the Spartans), détourne des scènes ciblées et suppose donc chez le spectateur une grande familiarité avec le contenu de référence. Intéressantes pour leur usage de la parodie, ces productions ne seront cependant pas incluses dans notre étude, qui cherche avant tout à explorer la mythologie des super-héros dans ses formulations premières. Deuxièmement, il existe une série de films dont la piètre qualité, souvent liée à un échec au box office, complique l'analyse. Des productions telles que Daredevil (2003), Catwoman (2004) ou Ghost Rider (au succès relatif, puisqu'il va connaître une suite) sont des décalques à peu de frais des comics originaux et engagent assez peu les questions d'identité et de relation à l'exploit que nous allons développer ici. Ce chapitre consacré au concept de super-héros va donc en réalité se concentrer sur un nombre restreint de personnages. Le choix de Superman et de Spider-Man comme objets d'étude principaux découle directement des conclusions de notre précédent chapitre, et de l'importance du nerd dans notre définition de l'héroïsme. Plutôt que de mener une étude exhaustive sur le traitement des super-héros, nous allons cibler ce qui, chez ce type de personnage, met plus largement en jeu la question de l'héroïsme américain, et sa relation au corps, en choisissant plus particulièrement les personnages caractérisés par un rapport trouble à leur propre identité.

1.3.2 Aspects de l'adaptation du comic book au cinéma

Le comic book constitue à l'origine une industrie dont la stratégie a longtemps consisté en la production de masse de contenus abordables, destinés aux enfants et aux adolescents. Les fascicules imprimés produits entre autres par Marvel et DC sont riches de nombreux scénarios et d'un langage graphique proche de celui du cinéma ; la case peut en effet constituer, dans une certaine limite, une version du cadre cinématographique. Cette proximité formelle rend l'adaptation presque évidente – les deux formes, cinéma et comic, semblant rapprochées par un langage commun, une même attention pour le corps et les catastrophes et plus généralement une appétence pour les contenus spectaculaires. Cependant, cette communauté d'approches ne doit pas faire oublier que l'adaptation des récits de super-héros au cinéma repose sur quelques contradictions. La première difficulté, qui a longtemps limité le nombre des adaptations, vient de la représentation de l'exploit. Ceux-ci, chez le super-héros, deviennent surhumains, et nécessitent donc, plus encore qu'un film d'Action traditionnel, le déploiement d'effets spéciaux souvent coûteux. Pour cette raison principalement, la production de films de super-héros implique des budgets importants. Quoique l'échelle de ce que le grand public appelle un "gros budget" ait changé au fil de l'histoire, au gré des progrès techniques et de l'inflation, cette forme n'est pas rare à Hollywood, et elle fonde parfois même toute une stratégie de communication (la promotion de Godzilla, en 1998). Toutefois, ce type d'investissement n'est possible qu'à la condition de cibler le grand public – des contenus ciblant des niches ne pouvant pas amortir de tels coûts. Or, nous avons vu que le comic book mobilise principalement ses fans, et peut écarter certaines cibles (femmes, publics âgés) qui sont habituellement demandeuses de productions dites "de prestige". Cet aspect a incité les producteurs, dès Superman, à élargir le spectre thématique de leurs films. Venu d'un comic book à l'origine destiné aux très jeunes garçons, Superman est passé au statut de grande production, un statut qui, de fait, implique une évolution du personnage. La promotion du film a donc été basée en grande partie sur la présence de Marlon Brando à l'écran, et sur le développement d'une romance entre Superman et Lois799. Avec un contenu de référence commun, comics et films de super-héros répondent donc de logiques de production opposées, dans la mesure où l'un est rapide et économique à imprimer, tandis que l'autre est achevé au terme d'un processus long et coûteux. Venus d'un support dit "cheap", les super-héros sont donc redéfinis par leur contextualisation au sein de productions cinématographiques. Les effets spéciaux ont longtemps limité le spectre des adaptations, jusqu'à ce que les technologies numériques permettent d'envisager la représentation d'exploits plus complexes (tel le morphing, qui préoccupe le cinéma depuis ses débuts). Claude Forest remarque ainsi qu'un hiatus de 40 ans sépare en général l'apparition d'un personnage de comic book de son adaptation au cinéma800. La prolifération des films de super-héros peut donc paraître contingente de progrès techniques (qui rendent possible la représentation), mais elle est aussi souvent expliquée par un contexte culturel favorable, souvent résumé par le chromonyme de "l'après 11 septembre". La multiplication de ces figures toutes puissantes, tutélaires en même temps que familières et amicales, s'expliquerait par la grande vulnérabilité ressentie par les citoyens américains après l'attaque du World Trade Center en 2001. Il est significatif que la franchise Spider-Man ait marqué cette nouvelle période (l'après 2001). Dans le comic book à l'origine du film, Spider-Man était souvent surnommé, sur les couvertures des fascicules et dans les histoires "friendly neighborhood Spider-Man". Cette grande proximité entre Spider-Man et les habitants de New York801 sonne dans ce nouveau contexte comme une fiction réconfortante, où le héros vient panser avec son pouvoir total des blessures incommensurables, nationales (les États-Unis étant la cible des terroristes) en même temps que locales (les New-Yorkais ayant souffert intimement directement des suites de l'attaque).

Parallèlement à cette résurgence de la nécessité du super-héros, la question de son existence réelle a largement préoccupé les années 2000. Le film Unbreakable, central à cet égard, démonte la mythologie super-héroïque pour s'interroger sur la forme d'un super-héroïsme qui ne soit pas imaginaire, mais bien réel et tout à fait quotidien. Une dizaine d'années plus tard, Kick-Ass lui fait écho, en dressant le portrait d'un adolescent qui décide de devenir un super-héros pour de vrai. L'intention est d'abord tournée en dérision, lorsque le personnage s'exhibe en collants devant des gangsters plus forts que lui ; le récit prend même un tour dramatique, lorsque cette tentative, de façon réaliste, se termine à l'hôpital. L'extraction du super-héros du registre fantastique se poursuit même en dehors de la fiction : dans l'émission télévisée Who Wants to Be a Superhero?802, animée par Stan Lee, les participants devaient proposer une incarnation de super-héros, en élaborant un costume ainsi qu'une histoire justifiant l'apparition du héros. Des défis, tel que le changement rapide de costume, permettaient d'éliminer les candidats, selon la formule consacrée de la télé-réalité. Enfin, plus éloigné encore du registre purement fictionnel, il existe de véritables "super-héros", ou du moins des individus qui se sont approprié ce statut, le plus souvent pour aider leur communauté ou leur voisinage, parfois en luttant contre de véritables menaces, mais aussi en aidant les sans-abris, les populations défavorisées... Ils sont recensés sur des sites Web (Superhero Registry803, par exemple), et revendiquent pleinement le statut de super-héros, en reprenant notamment les codes vestimentaires associés804. Ces éléments, qui peuvent sembler anecdotiques, sont cependant représentatifs de l'ancrage contemporain du super-héros. Si les effets spéciaux permettent des exploits jamais représentés au cinéma jusqu'alors, parallèlement, le positionnement du super-héros dans le quotidien est plus prégnant que jamais, et même plus fort, à cet égard, que celui des héros d'Action, dont on sait de moins en moins de choses au fur et à mesure que les franchises évoluent.

Depuis les débuts de l'existence du sous-genre, le coût des films de super-héros se situe rarement en dessous des 20 millions de dollars, et il n'est pas rare de voir le financement des productions dépasser le seuil des 100 millions de dollars ; c'est le cas par exemple de tous les Batman depuis les années 80, des deux derniers X-Men (110 et 210 millions respectivement) et de toute la série Spider-Man (109, 200 et 258 millions de dollars ont été investis dans chaque film de la trilogie)805. Les chiffres qui précèdent montrent que la logique sérielle s'accompagne d'une augmentation des budgets que l'inflation seule ne saurait expliquer. La stratégie de financement qui consiste à financer un épisode avec le précédent est particulièrement manifeste dans la série Spider-Man. Ce dernier met en place la formule de distribution des films de super-héros des années 2000, décrite par Claude Forest en tant qu'elle repose sur "l'amortissement des coûts de productions [...] sur le sol national par les recettes salle [...] les autres supports (vidéo ; TV, etc.) étant bénéfices nets, renforcés par une exportation en salles au moins égale [...]. Le succès du premier permettra de mettre immédiatement en chantier l'épisode suivant avec le même réalisateur qui disposera d'un budget doublé806". Portant à l'origine sur Spider-Man, ce propos s'applique à d'autres séries, telles X-Men ou les Batman de Christopher Nolan. Néanmoins, il faut observer que la sérialité des films est limitée par rapport à celle des comic book, une fois encore parce que le mode de production est en tous points différent, puis parce que la nécessité du renouvellement paraît plus grande : il suffit de regarder la fréquence des reboot pour s'en convaincre. Nous évoquions d'ailleurs plus tôt l'éventail des stratégies narratives de renouvellement employées par le comic book (reboot, revamp, etc.) : il semble que le cinéma s'en soit particulièrement emparé, lui dont la forme invite tout particulièrement au remake et autres prequels.

L'industrie du comic book a très rapidement été dominée par deux "grands", DC et Marvel, et l'intérêt de ce découpage, nous l'avons vu, dépasse les seuls enjeux économiques. L'appartenance des super-héros à l'une ou l'autre des deux écuries participe de son identité globale : plus que des marques, les deux grands noms du comic book sont des familles. Dans le contexte des adaptations cinématographiques, les familles de comic books croisent du coup les familles de cinéma. Ceci est manifeste au début de tous les films que nous avons mentionnés : avant le logo de la société de production, c'est l'emblème de DC ou Marvel qui apparaît. Les deux logos sont animés, et tous deux insistent sur l'origine de papier des super-héros : dans le cas de Marvel, l'évocation d'un feuilletage rappelle le fascicule ; chez DC, la même référence s'exprime au moyen de personnages en deux dimensions qui laissent apparaître la trame quadrichrome du dessin imprimé. Les intersections des familles de comic book et des familles de cinéma produisent par ailleurs des réseaux complexes. Spider-Man, Iron Man et Hulk appartiennent tous les trois à Marvel : mais adaptés à l'écran, ils deviennent la propriété respective de Sony, Paramount (Viacom) et Universal. Les X-Men et les Quatre Fantastiques, eux aussi originaires de la maison Marvel, appartiennent en revanche tous deux à la Fox807. Cependant, le rachat de la maison par Walt Disney en décembre 2009 indique probablement un retour à une plus grande unité dans la stratégie de production et de distribution. Une uniformité plus complète est lisible du côté des productions DC, distribuées jusqu'à présent par la Warner. Si nous ne pouvons pas rentrer dans tous les détails de production des films de super-héros, il faut cependant signaler que cette double appartenance à une maison d'édition et un distributeur a été à l'origine de nombreuses tensions. Les adaptations de comics sorties dans les années 2000 répartissent les bénéfices générés par les films sur la base d'accords passés dans les années 90 : cette structure a par le passé largement favorisé les sociétés de production par rapport aux maisons d'édition. Aujourd'hui, les maisons d'édition tentent donc de se désolidariser des sociétés de production pour produire indépendamment leurs films, en faisant cependant appel aux studios pour gérer la distribution808. À ces complexités s'ajoutent les nombreuses questions légales liées aux statuts des illustrateurs. Les ayant-droits de Jack Kirby (co-créateur des X-Men et des Quatre Fantastiques, entre autres) ont récemment engagé un procès contre Marvel pour faire valoir leurs droits à une part des profits réalisés par les films inspirés des créations de l'illustrateur809. Stan Lee a intenté un procès similaire en 2002, pour bénéficier de revenus sur les utilisations de ses créations810. Venus d'un univers marginal, avant tout destiné aux fans, les super-héros se sont émancipés au fil des adaptations cinématographiques. La question de leur identité, non en tant que personnage, mais en tant qu'objet culturel, est rendue complexe par le croisement de cette tradition de papier avec les logiques de production propres au cinéma des années 2000.

1.3.3 Les films de super-héros sont-ils des films d'Action ?

Issus d'un genre littéraire très identifiable, il n'est pas sûr que les super-héros doivent pour autant être génériquement isolés dans l'histoire des genres hollywoodiens. Le discours médiatique qui entoure la sortie de chaque film de super-héros parle le plus souvent de ces productions comme d'une variation du film d'Action. Dans d'autres cas, le "film de super-héros" est traité comme une catégorie autonome, et semble alors fonctionner comme un sous-genre. Si les films de super-héros ne sont pas à proprement parler des actioners, ils en reprennent cependant les formules : l'Action se fait paroxystique tandis que le corps masculin y est tout autant mis à l'épreuve. Néanmoins, nous avons choisi de traiter les personnages super-héroïques séparément, plusieurs éléments nous ayant incitée à effectuer ce choix. En termes esthétiques, seuls les effets pyrotechniques et le principe de démolition du contexte urbain semblent réellement communs aux deux types de films – et il faut reconnaître que ces deux motifs ont contaminé à peu près tous les genres du cinéma. Dick Tomasovic évoque une certaine hybridité du film de super-héros, "hésit[ant] entre le bariolé "pop" des comics et la sobriété métallique du cinéma d'action811". Le film du super-héros se caractériserait, dans cette perspective, par la rencontre de deux univers eux-mêmes marqués par une grande hybridité. Si le propos de Tomasovic exprime bien la versatilité du sous-genre récent que nous étudions, il faut signaler que la "sobriété métallique" des actioners n'est elle-même que toute relative : pensons seulement à l'esthétique éclectique et composite de True Lies ou encore de Eraser. De même, nous avons vu que le comic n'était "pop" qu'à certains moments de son histoire, et a également su développer un style économique et rigoureux dans sa forme. Autrement dit, les esthétiques du film d'Action et du film de super-héros peuvent sembler très opposées, à condition d'épurer chaque genre de ses particularités, et d'en oublier du même coup les formes plus marginales, ou plus transgressives.

Plutôt que d'opposer systématiquement les deux "genres", il faut se rappeler leur origine commune, tout au moins sur le plan des scénarios. Nous avons opposé ceux-ci précédemment, en avançant que l'extranéité du héros d'action par rapport à l'Action qu'il prend en charge diffère de l'investissement psychologique du super-héros dans la situation qu'il doit résoudre. Dick Tomasovic rappelle cependant que les scénaristes de films d'action ont également été amenés à écrire les scénarios de films de super-héros, et ce dans une stratégie "de reconnaissance et d'établissement du genre812". Citons par exemple le cas de David Koepp, qui a écrit les scénarios de Carlito's Way, Mission: Impossible, Snake Eyes, et plus tard de la série des Spider-Man813. De même, si nous avons opposé les structures narratives des deux genres dominants de notre corpus, il ne faut pas pour autant couper le film de super-héros de la logique des héritages que nous avons dégagée dans le premier chapitre, pour ne plus retenir que la tradition des comic books. Les personnages de films de super-héros ne sont souvent ni plus ni moins que des vigilantes, dès lors qu'ils prennent la loi entre leurs mains. Ce motif est certes voilé, et peut vite s'oublier devant la prolifération de costumes chatoyants, de récits fantastiques et de pouvoirs surhumains. De même, ces aspects esthétiques peuvent quelque peu masquer la condition essentielle du super-héros, souvent très proche de la position du loner ou du drifter dans les westerns. Enfin, nous avons déjà évoqué la contextualisation du super-héros dans une géographie délimitée, le plus souvent une ville, et parfois même un quartier. Cet aspect rapproche également les super-héros des personnages de western, dont l'action est souvent destinée à une petite communauté814. Là, c'est la résolution de cette relation qui diffère, puisque le super-héros est ancré dans sa communauté pour une durée indéfinie, tandis que le westerner souffre de ne pouvoir intégrer la société de ceux-là mêmes que son action a préservés. Le super-héros peut faire l'expérience de son inadéquation à l'autre mais très souvent il continue de partager l'espace de ses concitoyens. Il faut signaler les inévitables exceptions : ce sont le plus souvent les "monstres" qui deviennent des super-héros errants, tels Hulk et Wolverine815.

Ces observations renvoient à la différence essentielle qui sépare potentiellement les deux genres, et qui concerne la nature même des héros. Tout d'abord, la relation qui unit le personnage à l'acteur est très différente dans les deux cas, comme l'a notamment remarqué Hélène Valmary au terme d'une comparaison entre héros d'Action et super-héros816. Dans les films d'Action, l'accent est tout particulièrement placé sur le corps de l'acteur, et sur ses capacités réelles ou supposées telles. Il y a toujours un moment, dans la promotion d'un film d'Action, où l'acteur peut vanter l'authenticité partielle, sinon totale, des exploits que les spectateurs voient à l'écran817. Cette question du réalisme hante le cinéma depuis ses débuts, et trouve une expression toute particulière dans le champ de l'actioner. Il faut se rappeler la promotion de Bullitt, construite autour d'un documentaire intitulé 'Bullitt': Steve McQueen's commitment to Reality (1968), dans lequel l'implication de Steve McQueen dans les courses-poursuites du film était tout particulièrement mise en avant. Il s'agissait alors tout autant de vanter une technologie (les premières caméras embarquées dans des véhicules rapides) que la possibilité, dès lors, de dépeindre un héroïsme réel. Il est frappant de constater, dans la formulation même du titre du documentaire, que c'est l'acteur qui est garant du réalisme du film. Le corps de l'acteur, plus que jamais, était alors le lieu de déploiement d'un héroïsme vrai. Dans le cas des super-héros, la hiérarchie acteur-personnage est inversée818, et le making-of est là aussi révélateur de ce retournement. En effet, ce sont souvent des inconnus, ou des acteurs de moindre notoriété (par rapport à Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger) qui incarnent les super-héros. Le choix des acteurs est délicat, et les fans de comic books font souvent entendre leur désaccord lorsque le casting d'une future production ne leur semble pas approprié819. Par ailleurs, jouer dans un film de super-héros ne garantit pas le début d'une grande carrière à Hollywood : Christopher Reeve est principalement connu pour son incarnation de Superman, et cette association de sa persona au rôle a probablement limité ses choix. Lorsqu'un film de super-héros lance ou aide une carrière (Tobey Maguire grâce à Spider-Man, Hugh Jackman avec X-Men), c'est rarement pour que l'acteur concerné s'inscrive dans ce genre – comme Bruce Willis s'est consacré à l'Action et au thriller après Die Hard, par exemple. Ceci s'explique par le statut du personnage dans le film de super-héros : l'acteur offre son corps à une image préexistante, tandis que chez l'acteur d'actioners, c'est ce corps même, travaillé par le bodybuilding et les séances de gym, qui doit faire image. Il n'existe pas de cas d'un acteur ou d'une actrice qui se consacrerait au genre super-héroïque, comme certains ont bâti une carrière sur le film d'Action. Comme le montrent les carrières d'Edward Norton, Eric Bana ou Robert Downey Jr., le film de super-héros est un passage pour l'acteur, qui peut éventuellement y démontrer des capacités pour un rôle "physique" (Robert Downey Jr. passant d'Iron Man à Sherlock Holmes), mais n'offre pas de possibilité de spécialisation. La structure même du reboot interdit toute carrière de ce type : Tobey Maguire s'est certes illustré dans la première série des Spider-Man, mais il est impensable de "relancer" l'histoire sans un nouveau visage (en l'occurrence, Andrew Garfield). Nous parlions de l'aspect révélateur des making-of : là où les making-of de films d'Action prennent des allures de compte-rendu d'entraînement820 (et posent l'engagement de l'acteur avec la réalité), les making-of de films de super-héros présentent des acteurs malmenés, enchaînés à un véritable arsenal de câbles quand ils n'étouffent pas dans leur costume821 : ceci pointe en réalité un grand paradoxe du film de super-héros, qui présente bien un héroïsme du corps, mais qui ne passe pas par le corps, comme c'était le cas dans First Blood ou Commando. En cela, le film de super-héros se rapproche davantage du film fantastique que du film d'action.

Cette relation entre le personnage et l'acteur n'est pas sans conséquences sur les formes du super-héroïsme. Le fait que le corps du super-héros ne soit qu'un corps d'emprunt est encore accentué par l'usage fréquent des effets spéciaux. Spider-Man est l'exemple le plus représentatif de cette tendance. Tout au long du premier film, le spectateur voit tantôt Tobey Maguire (lorsque les plans sont rapprochés), tantôt un avatar numérique, dont l'aspect factice est tempéré par l'échelle du plan, la vitesse du montage et du mouvement du corps. Dès lors, l'héroïsme du super-héros se construit à l'écran en deux temps : un temps fait tout de même la part belle à l'acteur, mais surtout à son visage, puis, la corporéité est prise en charge par un avatar numérique, en l'absence du corps de l'acteur. La double identité du super-héros coïncide avec ce double langage : l'acteur prévaut lorsque c'est l'identité à la ville qui est explorée, et aussitôt que l'Action s'enclenche, l'acteur met son masque et s'éclipse. Ce qui était une transition narrative dans le comic book est devenu le lieu d'un enjeu cinématographique, puisque le port du masque ne résout plus seulement une crise identitaire, mais également un conflit entre deux matières filmiques (référent profilmique et réalité virtuelle).

Une dernière stratégie consisterait à rabattre l'opposition entre le film d'Action et le film de super-héros sur une différence d'époque. Nous avons vu que l'actioner était avant tout le produit du cinéma des années 80, sur le plan culturel autant qu'économique, même si nous résistons à la catégorisation engagée par le terme de "cinéma reaganien". Le concept d'un "retour des super-héros" (même s'il s'agit plutôt d'une longue ascension) est également associé aux années 2000, en étroite connexion avec les événements du 11 septembre 2001. Chaque genre, et donc chaque type de héros serait alors l'expression d'un Zeitgeist particulier. L'analyse d'Hélène Valmary va dans ce sens, dès lors que le retour des héros d'action dans les années 2000 (Rocky Balboa, Live Free or Die Hard, John Rambo) peut être lu comme la revendication d'un héroïsme physique toujours d'actualité malgré ses limitations. Rocky Balboa, John Rambo et Live Free or Die Hard reviennent de façon revendiquée à l'action "à l'ancienne"822, et affirment la supériorité de celle-ci par rapport aux formes plus contemporaines de l'exploit (symbolisées par les arts martiaux et les effets spéciaux, principalement).

Dès lors, il n'est pas souhaitable d'incorporer totalement les films de super-héros au genre Action. Visuellement, il est certain que les deux genres sont proches. Les super-héros travaillent davantage à préserver leur environnement qu'à le détruire823 : mais les grandes poursuites, les scènes d'explosion et de combats sont bien présentes. C'est à l'endroit du statut du corps que les deux genres s'opposent le plus radicalement. Il faut tout d'abord parler de la schize, manifestée par la plupart des super-héros, qui dédouble leur physicalité, là où le héros d'Action constitue un tout monolithique, un rempart contre les menaces dont la nation fait l'objet. À ce dédoublement thématique répond un dédoublement visuel, sur le plan de l'image, dès lors que le super-héros accomplit des exploits surhumains qui requièrent l'usage d'effets spéciaux. Malgré ces différences essentielles, le film d'Action et le film de super-héros entretiennent une grande proximité. Ces deux genres semblent en effet avoir été unis par un dialogue permanent, tout particulièrement dans les années 2000. Alors que les super-héros ont su investir le contexte suburbain souvent balayé par le film d'Action, les héros "traditionnels" des actioners ont fait retour, et leur réponse relève d'un savoureux paradoxe. Tout en revendiquant des modes d'Action surannés, voire dépassés, comme étant les seuls valables, ils ont égalé les super-héros par l'échelle de leur action : ainsi John McClane, par des procédés détournés, réussit un exploit digne de Superman lorsqu'il détruit un hélicoptère au moyen d'une voiture. Enfin, la proximité qui existe entre les deux genres peut s'expliquer par leur statut culturel : le film de super-héros hérite partiellement du statut low brow du comic book, et comme le film d'Action, il est souvent réduit au contenu idéologique qu'il est supposé exprimer. Lorsque Jean-Marc Génuite dit des films de super-héros qu'ils "enseignent les limites d'une citoyenneté irréprochable made in USA fixées selon les codes d'une moralité puritaine824", on reconnaît les analyses qui déjà limitaient les films d'Action à incarner les symptômes d'une société malade, indépendamment de leurs formes et de leurs contenus narratifs. Nous éviterons enfin de convoquer systématiquement l'actioner dans nos analyses, pour tenter de relier le film de super-héros à d'autres genres. Parvenue à une autre extrémité d'une généalogie amorcée avec les westerns crépusculaires, il nous faut à présent parler des héros eux-mêmes, et de leurs identités – sans rabattre tout schéma narratif sur une mythologie universelle.

1.3.4 Quelle taxinomie pour les super-héros ?

S'il est délicat de poser l'existence d'un genre tel que "le film de super-héros", c'est que la catégorie elle-même rassemble des personnages de natures très différentes. Umberto Eco a, dans les années 60, à partir des seuls comic books, défini un classement biface qui sépare les super-héros en fonction de leurs pouvoirs, qu'il s'agisse de "pouvoirs surhumains", ou à l'opposé de "facultés terrestres normales, potentialisées au maximum"825. Cette division n'offre pas seulement l'avantage d'être claire : elle correspond aussi à un partage fondamental, opéré dès les origines, et qui est incarné par le couple formé par Superman (le véritable surhomme) et Batman (de quelques années son cadet, il s'agit plutôt d'un homme "normal", mais appareillé). Plus récemment, Sébastien Boatto a repris cette catégorisation et l'a reformulée, cette fois sur trois niveaux, en incluant les "non-humains", les "humains mutants" et les "humains entraînés ou appareillés"826. En isolant les "mutants", Boatto donne du coup toute leur importance aux super-héros du Silver Age (X-Men, 4 Fantastiques, Hulk...). Les deux catégorisations fonctionnent, à condition de traiter le genre des super-héros dans son ensemble. Dans la mesure où nous ne cherchons pas à traiter du genre de façon exhaustive, mais à interroger ses représentations de l'héroïsme, nous proposerons ici d'autres filtres, plus aptes à mettre en relief les formes de l'héroïsme, ou les formes du corps héroïque prises par les super-héros. Il s'agit également de parler du vécu des super-héros tel qu'il est représenté par les films, et pas uniquement des "pouvoirs" – car ceux-ci ne suffisent pas à faire de nos personnages des super-héros.

Contrairement au comic book, le film de super-héros ne peut pas faire l'économie du récit des origines827. De telles productions, en raison de leur budget, s'adressent au public le plus large possible et doivent donc vulgariser des éléments que les fans considèrent comme acquis. Pour cette raison, c'est l'origine des pouvoirs, plus que les pouvoirs eux-mêmes qui retiennent ici notre attention. Les super-héros ne sont pas seulement dotés de capacités extraordinaires : ils sont également marqués par un trauma fondamental qui précipite leur destin de super-héros. Ce trauma n'est jamais accessoire : parfois, il est à l'origine du pouvoir, et dans certains cas trauma et pouvoir ne font qu'un (Bruce Banner, exposé à un rayon Gamma, en possède la force). Dans d'autres cas, l'obtention du pouvoir précipite le trauma : Spider-Man, par péché d'orgueil, veut utiliser ses pouvoirs pour conquérir Mary Jane, intention dont va résulter, quoique indirectement, la mort de son oncle. La double identité des super-héros naît donc d'une origine elle-même double, qui allie une face positive (le pouvoir, qui permet la maîtrise) et une situation primitive d'impuissance (où le pouvoir n'a servi à rien, parce qu'il était trop tard, parce qu'il n'était pas maîtrisé, etc.). Quand le pouvoir est inexistant (les détenteurs de "facultés terrestres normales", selon Umberto Eco), la dualité est maintenue, par exemple en redoublant le traumatisme : chez Batman, c'est autant la mort de ses parents qu'une expérience précoce de l'effroi dans une grotte peuplée de chauve-souris qui pose les fondements du personnage. En l'absence d'un pouvoir extraordinaire, c'est l'un des traumatismes qui vient résoudre l'autre, puisque Bruce Wayne choisit la figure de la chauve-souris pour mener son entreprise de vengeance, et exorciser simultanément deux épisodes de son passé.

Nous avons souvent mentionné la mort d'un parent dans le cas des récits de super-héros, et cela n'est pas un hasard : de nombreux super-héros héritent du trope littéraire de l'orphelin, tels Superman, Batman et Spider-Man. Même si nous avons contourné les analyses psychanalytiques dans notre étude, il faut constater que les problématiques familiales sont très prégnantes dans les récits de super-héros. En l'absence de parents, ce sont souvent des figures ambigües qui remplacent les parents (ou plutôt les pères, car les mères sont notoirement en retrait), elles-mêmes doubles, ou dédoublées (pensons à l'opposition entre Charles Xavier, figure paternelle bienveillante, et le cruel Magneto). Les monstres font encore exception dans ce classement plutôt uniforme : la problématique familiale est souvent déplacée chez ce type de personnages ; leur apparence monstrueuse devenant un obstacle à la vie sociale et surtout amoureuse, c'est au niveau du couple que les tensions doivent se résoudre (chez Hulk, la Chose).

Ces types de catégorisation sont en général reconnus et bien identifiés, et il nous faut donc ajouter le découpage le plus important pour nous, puisqu'il repose sur les catégories du nerd et du héros, et la problématique du regard que nous avons isolée. Plutôt que de classer les héros selon leurs talents, nous allons ici essayer d'analyser deux types de héros principaux, en restant consciente que ce découpage rassemble des héros très différents. Dans un premier temps, nous parlerons surtout des héros dont le fonctionnement repose sur une double identité. Nous limiterons alors notre analyse aux personnages de Superman, Batman et Spider-Man. Puis, nous alimenterons notre propos en évoquant les "monstres", ces super-héros à l'apparence repoussante majoritairement issus de l'éditeur Marvel : il s'agit de Hulk et de la Chose. Dans ces deux cas, c'est la conservation de l'humanité et la négociation avec un ennemi intérieur qui font problème. Entre ces deux catégories, Batman fait figure de pont, surtout dans ses incarnations les plus récentes (les deux films réalisés par Christopher Nolan en 2005 et 2008) : la double identité n'est pas tant dans ce cas synonyme de versatilité que d'une division profonde et insoluble de la psyché. Enfin, notre analyse s'achèvera sur la saisie d'un thème transversal, commun aux deux catégories des "doubles" et des "monstres". La normalité, apparente antithèse du super-héroïsme constitue un point critique chez le super-héros. Dans le cas des héros dits "doubles", la normalité est une puissance anti-héroïque que le héros doit combattre s'il veut rester lui-même. Inversement, chez les super-héros monstrueux, la réalisation de soi dans la domesticité (et notamment dans le couple) représente un défi, et possède du coup des connotations beaucoup plus positives, bien que cet accomplissement reste le plus souvent inaccessible. La normalité, qu'elle corresponde à l'intégration dans la communauté humaine (pour les monstres) ou à une puissance mortifère (pour les "doubles") concerne toujours le super-héros : cette relation thématique fonde le propos d'Unbreakable, qui définit la normalité comme une menace pour le super-héros, tout en réaffirmant l'essentialité de celle-ci. Avant d'aborder cette proposition dialectique et pour le moins distanciée de M. Night Shyamalan, il nous faut revenir au premier super-héros : Superman. La séminalité de ce dernier ne tient pas uniquement à son double privilège – le personnage est en effet le premier super-héros de papier et de cinéma. C'est la relation, au sein d'un même corps, entre l'homme normal et le surhomme, qui fonde l'identité de Superman, mais aussi de nombreux super-héros après lui. Spider-Man est Peter Parker à la ville, jeune adolescent anonyme, photographe à ses heures, mais aussi simple livreur de pizzas ; similairement, Captain America n'est que la version musculaire du gringalet Steve Rogers. Cette relation entre le super-héros et son alter ego rejoue, comme nous l'avons déjà évoqué, la relation d'opposition entre le héros et le nerd traditionnelle dans le cinéma américain. Ce sont à présent de nouvelles formes de mobilité, d'une identité à l'autre, que nous allons étudier.


737. FINGEROTH Danny. Superman on the Couch. op. cit., p. 72.
738. "l'homme n'est pas en réalité un, mais deux" ; STEVENSON Robert Louis. op. cit., p. 67.
739. ECO Umberto. op. cit., p. 113.
740. Jason Hoberman cite ainsi un numéro de People qui emploie l'expression "Cary Grant with pecs", voir l'introduction pour la référence, cf. infra., p. 18.
741. Scott Bukatman parle en effet du super-héros comme d'un "Philip Marlowe en collants" ("Philip Marlowe in tights"), in BUKATMAN Scott. "Paralysis in Motion. Jerry Lewis's Life as a Man". 1991, p. 185.
742. Nous parlons de "révision" ("revisionism") dans le sens défini par Terrence Wandtke, in WANDTKE Terrence. "Introduction: Once Upon a Time Once Again". 2007, p. 6-7.
743. Il faut cependant nuancer le lien de parenté qui existe a priori entre pulp et comic book. Selon Michael Denning, les comics sont des déclinaisons des suppléments illustrés à l'origine agrafés aux journaux qu'ils accompagnaient. Tandis que les pulps visaient un public majoritairement issu de la classe ouvrière, les comics, parce qu'ils reprennent le principe du supplément, tendent à viser un lectorat déterminé non par la classe, mais davantage par l'âge. Historiquement, les comics sont un des premiers contenus destinés aux enfants, suffisamment bon marché pour que ceux-ci puissent se le procurer eux-mêmes ; cf. DENNING Michael. Working Class Culture in America, 1987, p. 10-12, cité par GABILLIET Jean-Paul. Des comics et des hommes, Histoire culturelle des comic books aux États-Unis. 2005. p. 18-19.
744. Ce point sera développé plus loin, quand il sera question de l'iconographie des super-héros.
745. Cependant, là où le propos d'Eco est probablement daté en ce qui concerne les comics, il reste paradoxalement tout à fait d'actualité en ce qui concerne la transposition du personnage au cinéma.
746. MILLAR Mark. Superman : Red Son. 2010, 250 p.
747. De fait, les actioners des années 80 jouent du hasard comme moteur narratif : c'est très évident dans le cas de John McClane, toujours présent au mauvais moment – un état de fait dont il ne cesse d'ailleurs de se plaindre.
748. Nous pensons par exemple à Jean Ungaro qui, parti du postulat général selon lequel "le peuple américain s'imagine et se représente comme un peuple qui vit avec la Bible" parle plus tard de "héros sacrificiels" et affirme même : "chaque film où le héros signe sa présence répète l'acte initial, l'acte de naissance des États-Unis : l'affrontement avec la sauvagerie, la lutte pour instaurer le droit, la loi, l'ordre et la morale chrétienne" ; in UNGARO Jean. Américains, héros de cinéma. 2005, p. 60 ; p. 92 ; p. 80. Ces analyses irriguées par une lecture idéologique nous semblent du même coup manquer quelque chose de la nature de l'héroïsme américain.
749. Smallville (Smallville), création : Alfred Gough ; Miles Millar, États-Unis, 2001-2011 (The WB, The CW).
750. "one of the great misnomers in entertainment", in WRIGHT Bradford W. Comic Book Nation, The Transformation of Youth Culture in America. 2001. p. 2.
751. Après la guerre de Sécession, le contenu dessiné des journaux est en nette augmentation, d'abord dans des visuels isolés, puis dans des séries dites strips ; cf. GABILLIET Jean-Paul. op. cit., p. 25.
752. WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 2.
753. GABILLIET Jean-Paul. op. cit., p. 25-26.
754. Ibid., p. 29-33.
755. "Alors que les comic strips sont la propriété des journaux, et distribués à un large public constitué principalement d'adultes, les comic books sont créés, distribués et vendus pour leur contenu seul à un public majoritairement jeune" ("Whereas comic strips are a syndicated feature in newspapers sold to a mass and mostly adult audience, comic books are created, distributed and sold on their own merits to a paying and overwhelmingly young audience"), in WRIGHT Bradford W. op. cit., p. xiii – xiv.
756. Ibid., p. 3.
757. Notons tout de même que ce nouveau format n'était pas à l'origine destiné au comic book, mais à des publications publicitaires ou des suppléments gratuits ; ibid.
758. GABILLIET Jean-Paul. op. cit., p. 38 ; WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 5.
759. WRIGHT Bradford W. cit., p. xix.
760. Ce fascicule était bimensuel, tandis qu'Action Comics comprenait toujours une aventure de Superman dans ses numéros hebdomadaires ; ibid., p. 13.
761. Ibid., p. 15.
762. Les journalistes Sterling North (Chicago Daily News) et Frank Vlamos (American Mercury) illustrent cette tendance, reprise, quoique de façon moins incisive, par des publications destinées à la famille (Parents' Magazine, par exemple) ; ibid., p. 27-28.
763. Danny Fingeroth y fait allusion, in FINGEROTH Danny. Superman on the Couch. op. cit., p. 22.
764. Bradford Wright explique de manière plus détaillée qui était Wertham, à la fois libéral sur le plan de sa pratique de psychiatre, mais conservateur face à la question des comic books ; WRIGHT Bradford W. op.cit., p. 92-98.
765. WANDTKE Terrence. op. cit., p. 23.
766. Bradford Wright affirme en effet que ce code de censure faisait suite à une première initiative lancée en 1948 et abandonnée en 1950 par l'ACMP (Association of Comic Magazine Publishers) et qui constituait alors une déclinaison du code mis en place par Hollywood ; WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 103.
767. Ibid., p. 180-181.
768. "En apparence au moins, les masses délaissées et oppressées qui avaient réclamé l'intervention de Superman en 1938 vivaient alors satisfaites dans des banlieues confortables" ("By appearances at least, the helpless and oppressed who had cried out for Superman in 1938 now lived comfortably and contentedly in the suburbs") in WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 59.
769. DC Comics n'est pas en reste pendant cette période, mais se montre moins innovant. Les créations de la maison d'édition consistent surtout en un dépoussiérage de héros existants (The Flash, The Green Lantern), ou dans la réunion de personnages dans une même histoire (c'est le principe de Justice League, précédemment cité).
770. WANDTKE Terrence. op. cit., p. 29.
771. Cependant, ces classifications continuent de faire débat. Le Golden Age, le Silver Age et les périodes que recouvrent ces chromonymes sont généralement admises, cependant l'existence d'un Dark Age fait encore débat. Geoff Klock, par exemple, ne voit dans cette période que le prolongement et la radicalisation de tendances déjà existantes pendant le Silver Age, in KLOCK Geoff. How To Read Superhero Comics and Why. 2002, p. 2-4.
772. GABILLIET Jean-Paul. op. cit., p. 128.
773. Le code couleur du costume de Superman peut éventuellement rappeler le drapeau américain. Chez Wonder Woman (DC) et Captain America (Marvel), le drapeau est la matière du vêtement, qui reprend non seulement les couleurs mais également les étoiles.
774. WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 18.
775. Il faut tout de même noter ici que tous les super-héros ne sont pas issus des comics : Green Hornet a par exemple fait ses débuts à la radio en 1936.
776. Cf. De Superman à Spiderman, Michel VIOTTE, 2001.
777. Batman, création : Lorenzo Semple Jr., États-Unis, 1966-1968 (ABC).
778. Le texte "Le mythe de Superman" fait à l'origine partie d'Actes de Colloque ; il a ensuite été publié avec d'autres écrits en 1976 sous le titre De Superman au surhomme (Il Superuomo di massa).
779. ECO Umberto. op. cit., p. 124.
780. ECO Umberto. op. cit., p. 128.
781. Umberto Eco ne dit pas autre chose quand il affirme à propos de Lois : "si Superman l'épousait, il ferait un pas vers la mort", ibid., p. 125.
782. Cf. FEIFFER Jules. The Great Comic Book Heroes. 1965. p. 38.
783. "Savoir "swiper" est un art en soi" ("Good swiping is an art in itself*"), ibid.
784. Il y a en réalité deux Batgirls : la première est la fille du commissaire Gordon, la seconde est la fille d'un assassin.
785. ECO Umberto. op. cit., p. 125.
786. Ibid., p. 126.
787. Il faut noter, cependant, que les imaginary tales ne font pas partie des récits ayant connu le plus de succès. Conçus après la guerre, pour renouveler un fil narratif que le contexte historique ne nourrit plus, ils manifestent une certaine distance à l'égard du contexte social d'alors. Ceci expliquerait notamment le déclin des ventes de comics de super-héros dans les années 50, selon Bradford Wright (in WRIGHT Bradford W. op. cit., p. 60-61.)
788. SIMS Chris. Time and Time Again: The Complete History of DC's Retcons and Reboots [ en ligne ]. Comics Alliance. 8 juin 2001.
789. FINGEROTH Danny. Superman on the Couch. op. cit., p. 105.
790. LEUPP Thomas. Behind the Mask: The Story of Spider-Man's Black Costume [ en ligne ]. Reelz. 2007.
791. Chaque année se tient à Los Angeles le Comic Con, convention rassemblant fans de comic-books, Star Wars et autres contenus culturels emblématiques de la culture "geek". Les nouveaux films de super-héros y sont projetés en avant-première : il est donc essentiel que la réception des fans les plus passionnés soit positive, même s'ils représentent une part congrue du public de ces films, cf. KAY Jeremie. Geek Almighty [ en ligne ]. The Guardian. 1er août 2008.
792. Quelques précautions rhétoriques semblent en effet de mise : le récent succès des super-héros au cinéma s'explique majoritairement par l'engouement des enfants et des adolescents. Nous parlons cependant ici du statut du comic book dans la vie des jeunes Américains, et celui-ci a sensiblement changé, même si par ailleurs le succès des films garantit le succès des produits dérivés, dont font partie les comic books (par un intéressant phénomène de renversement).
793. Chabon propose dans son ouvrage une réflexion sur les super-héros, et a prolongé ce discours en dehors de la fiction, notamment dans un article du New Yorker que nous serons amenée à citer.
794. Après la publication de son ouvrage, Michael Chabon a écrit les histoires de ce super-héros. Celles-ci ont été publiées de 2004 à 2006 par Dark Horse Comics.
795. Ce motif de l'anneau n'est pas étranger aux récits des comic books et renvoie directement au récit de The Green Lantern (dont les premiers numéros paraissent en 1940), dans lequel tout porteur de l'anneau magique devient le super-héros Green Lantern. Ce thème de l'anneau magique, repris notamment par le Seigneur des Anneaux, renvoie à des mythes plus anciens, comme le récit de l'anneau de Gygès permettant l'invisibilité de son porteur (dans la mythologie grecque), ou l'histoire de l'anneau des Nibelungen, chantée dans l'opéra éponyme de Wagner.
796. Ce motif est avant tout issu de la presse, des médias télévisés et du Web ; cf. COCHARD Sandrine. Le retour en grâce des super-héros [ en ligne ]. 20 minutes. 21 juillet 2008 ; DE SANTIS Sophie. Le retour des super-héros. [ en ligne ]. Le Figaro. 22 avril 2009 (ce dernier article adoptant une vision plus transversale, au-delà du cinéma). La notion d'un retour des super-héros dans les années 2000 a été largement exploitée, quitte à parfois constater un fléchissement de la tendance, pour mieux affirmer encore un nouveau retour (quand le motif du premier retour semblait épuisé), cf. "Super-héros, le retour" [ en ligne ]. Première. 16 juin 2008.
797. Marginal sur le plan du budget et du nombre d'entrées, Darkman est cependant intéressant. Formellement, il tient de la série B, mais son casting inclut Frances McDormand et Liam Neeson. En cela, le film est représentatif du travail de Sam Raimi, qui réalise dans les années 2000 la série des Spider-Man : l'aspect populaire et "cheap" du comic book est toujours intégré, parallèlement à une exigence de qualité qui accompagne toute production hollywoodienne au budget conséquent. Nous aurons l'occasion de reparler de cette relation à la qualité qu'entretiennent les films de super-héros.
798. Rocketeer présente à la rigueur un cas limite. Il s'agit d'un personnage d'aviateur devenant homme-fusée au moyen d'une technologie que ses ennemis cherchent à lui dérober. De fait, le personnage vole, se bat contre ses ennemis et sauve l'héroïne. Tout en ayant la saveur du récit de super-héros, l'adaptation filmique n'en comporte pas les complexités.
799. Cette relation amoureuse est devenue un des aspects marquants de l'identité de Superman, mais il s'agit plutôt d'un développement récent, dans le film de 1978 et dans la série Lois et Clark (1993-1997). Dans le comic de 1938, la romance n'avait pas droit de cité, cf. WRIGHT Bradford W. op. cit. p. 9.
800. Cf. FOREST Claude. "L'émergence d'un genre : les super-héros". 2009, p. 10.
801. Le récit des aventures de Spider-Man est contextualisé dans un New York contemporain de la publication du comic, et diffère en cela des histoires de Batman et Superman, respectivement contextualisées dans les villes fictives Gotham City et Metropolis - même si ces deux terminologies renvoient toutes les deux à New York.
802. Who Wants to Be a Superhero?, création : Scott Satin, États-Unis, 2006-2007 (Sci-Fi Channel).
803. Superhero Registry, [ en ligne ]. Disponible sur : <http://www.worldsuperheroregistry.com/&gt;
804. Dans certains cas, les super-héros "réels" reproduisent même certains tropes des récits de super-héros, tel Benjamin John Francis Fodor, qui a révélé lors d'un procès son véritable visage (habituellement masqué) à la foule ; cf. "Unmasked Seattle Superhero Vows to Keep Fighting Crime" [ en ligne ]. NBC News. 13 octobre 2011.
805. FOREST Claude. op. cit., p. 257.
806. Ibid., p. 15.
807. "Who Own the Superheroes?", annexe à l'article : BARNES Brook, CIEPLY Michael. A Supersized Custody Battle Over Marvel Superheroes [ en ligne ]. New York Times. 21 mars 2010.
808. WAXMAN Sharon. Marvel Wants to Flex Its Own Heroic Muscles as a Moviemaker. [ en ligne ]. 18 juin 2007.
809. BARNES Brook, CIEPLY Michael. A Supersized Custody Battle Over Marvel Superheroes. op. cit.
810. "Lawsuit filed by Spider-Man creator" [ en ligne ]. BBC News. 13 novembre 2002.
811. TOMASOVIC, Dick. "Le masque et la menace". 2009, p. 174.
812. Ibid., p.181.
813. Ibid.
814. WRIGHT Will. op. cit., p. 40.
815. Il existe une exception à cette exception, puisque la Chose, personnage monstrueux, est aussi un cas typique de super-héros local et dévoué à son voisinage.
816. VALMARY Hélène. "I'll be back". op. cit., p. 143-155.
817. Cf. infra., p. 175-177.
818. Valmary parle dans le cas des films de super-héros d'une logique "qui n'est pas celle de la star", in VALMARY Hélène. "I'll be back". op. cit., p. 145.
819. OUTLAW Kofi. Should Hollywood Listen to Fanboys About Comic Book Movies? [ en ligne ]. Screen Rant. 2011.
820. Cet aspect de "compte-rendu" est également lisible dans la promotion des films d'Action. Eric Lichtenfeld en donne un exemple en citant un article du Los Angeles Times concernant le tournage de Rambo III : "Un entraîneur est à disposition à l'hôtel pour des sessions quotidiennes d'une heure, où Stallone exécute 60 séries d'exercices, à raison de 10 répétitions par série, avec des poids de 45 kilos. Ce qui signifie qu'il commence sa journée en soulevant 27 000 kilos" ("A trainer is on hand for daily hour-long sessions at the hotel, where Stallone does about 60 sets of exercises, 10 repetitions per set, with 90-pound weights. Which means he's starting his days by pumping 54, 000 pounds") in WILMINGTON Michael. Superhero Muscles: 'Rambo III' Regenerates the Myth Machine. Los Angeles Times, 25 mai 1988, p. 1. cité par LICHTENFELD Eric. op. cit., p. 68.
821. Pensons par exemple à cet aperçu du corps arnaché de Brandon Routh lors du tournage de Superman Returns, visible dans le making-of qui accompagne l'édition DVD du film : dans ce moment, la scène de vol devient une scène d'effort, où l'acteur doit rester à l'horizontale (aidé par des filins), tandis que des marionettistes, vêtus entièrement de vert (de façon à être effacés lors de l'inscrustation) manipulent les mouvements de la cape.
822. Cf. infra., p. 288-299.
823. Ceci est vrai des films des années 2000 : la destruction est présente, mais elle est plus souvent le fait du méchant. Les derniers films de super-héros sortis à l'heure où nous écrivons ces lignes semblent amorcer une nouvelle tendance, où les super-héros détruisent autant, sinon plus que les héros d'Action, l'environnement où ils se trouvent (pensons à Iron Man, Kick-Ass et The Green Hornet).
824. GENUITE Jean-Marc. Le super-héros face au trauma du 11 septembre 2001 ou l'incarnation de la "destinée manifeste" des États-Unis. Tausend Augen, 2007, p. 20-22.
825. ECO Umberto. op. cit., p. 139.
826. BOATTO Sébastien. "Du surhomme à Superman". op. cit., p. 127-128.
827. Il serait erroné de penser que les premiers comics ont commencé par exposer les origines de leurs héros. Le premier épisode des aventures de Superman mentionnait une origine extra-terrestre, mais ces éléments de la mythologie supermanienne n'ont pas été éclairés avant 1960, année de publication de Superman's return to Krypto (dans Superman #141), où Superman apprenait, en voyageant dans le temps, sa propre histoire. Batman a connu un sort comparable, puisque ses aventures ont été lancées sans que les auteurs connaissent l'origine de son choix de carrière : ce n'est que six mois après la sortie du premier épisode que les lecteurs ont appris l'incident tragique ayant marqué l'enfance de Bruce Wayne, in FINGEROTH Danny. Disguised as Clark Kent. Jews, Comics, and the Creation of the Superhero. 2007, p. 66 ; 55.

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