Le désir d'héroïsme semble relever d'une évidence : qui n'a jamais rêvé de se dépasser, ou à défaut, voir un autre accomplir d'incroyables exploits ? Le héros semble la réponse à ce désir naïf, et pourtant sans cesse renouvelé, du côté du spectateur ou des personnages présents dans la fiction. Mais entre héros et héroïsme, la relation n'est pas si simple. Peut-on dire que le héros incarne cet héroïsme ? Peut-on dire qu'il en est le véhicule, presque indépendamment de ses qualités propres ? En somme, le héros est-il l'auteur de son héroïsme, ou en est-il le réceptacle ? Nous n'avons pas, en effet, voulu étudier les héros : la liste eût été trop longue, et l'étude se serait limitée à l'égrainage de multiples incarnations. Notre travail s'est donc porté sur cet héroïsme polymorphe, qui s'invite de manières diverses dans les récits hollywoodiens, tantôt actualisé par l'action tonitruante d'un Rambo, tantôt brossé comme un état inatteignable pour les nerds. Dans tous les cas, qu'il soit réalisé ou non, la notion d'héroïsme semble planer au-dessus de la fiction américaine. Si nous nous sommes attachée dans un premier temps à séparer les notions de personnage et de héros, il semble également qu'il ne puisse exister de personnage qui ne soit tenté de devenir un héros.

Si la définition de l'héroïsme tient dans le dépassement de soi, que faut-il alors pour être un héros ? La réponse la plus évidente semble être : un corps. Et ce corps, soumis à de multiples avanies, malmené, éprouvé, épuisé enfin, résiste à la définition. Un regard rapide sur notre corpus ferait apparaître une mise en image redondante du corps héroïque, et l'histoire du héros américain pourrait alors se réduire à la succession ennuyeuse de figurines hiératiques et musclées. Arrêtons-nous sur les films, et c'est l'infinie variété de ces corps qui se fait jour, des corps-outres remplis d'une énergie excessive, aux corps abstraits, nanifiés par le décor qui les absorbe - sans oublier tous les régimes de dualités qui complexifient encore l'effort de classement. Que faut-il alors retenir de cette double caractérisation des corps héroïques, entre récurrence et variété ? Cette difficulté qui, nous l'avons vu, est aussi celle des études génériques, préexiste à tout velléité taxinomique. Pour cette raison, nous nous attacherons ici pour ce dernier chapitre à dépasser l'approche du corps par ses éléments caractéristiques pour distinguer les grands modes de corporéité proposés par le cinéma hollywoodien. Ainsi, nous répondrons enfin à la question qui a animé le second chapitre : que peuvent ces corps ainsi sommés de révéler leur exceptionnalité ?

Au-delà des modèles physiques, nous reparlerons de l'être-au-monde des héros, et de leur relation à cet héroïsme qui semble les hanter. L'héroïsme, tel que les héros l'incarnent, semble s'exprimer sur des modes extrêmes : ce peut être le trop-plein (suggéré par exemple par l'appellation de super-héros) ou le déficit complet (chez les nerds véritables ou simulés). Ce modèle d'analyse binaire, comme d'autres apparus dans notre étude, ne simplifie pas l'objet d'étude, puisqu'il fait émerger un troisième terme, l'interstice, dans lequel se tient fictivement le héros en devenir. Nous reparlerons des danses de l'identité, modèle transversal qui permet de lier normalité et exceptionnalité : là, l'héroïsme se propage sur un mode qui est presque celui de la contamination, à tel point qu'aucun personnage, aussi banal soit-il, ne semble pouvoir échapper à cette exigence du dépassement. Enfin, une dernière dualité retiendra notre attention, et celle-ci n'interrogera pas la nature, fixe ou mouvante, des héros mais bien le devenir de la figure et la pérennité des modèles qui lui sont associés. Si l'héroïsme est une exigence, ou encore un désir, comment celui-ci s'incarne-t-il ? Comment fait-il face aux risques d'épuisement, d'aporie ? À parler d'héroïsme plutôt que de héros, nous avions plus tôt défini l'héroïsme comme locus, comme lieu que des personnages venaient temporairement habiter et animer. Il s'agira donc de trouver, d'héritages brisés en lieux désaffectés, la trace d'une permanence de cet héroïsme dans la fiction, un espace-temps pour les héros, essentiellement problématique, mais néanmoins survivant.

results matching ""

    No results matching ""