Conclusions : la puissance, en toute fragilité

Il n'est pas de cinéma qui ne soit d'action, cela semble entendu. Le film d'Action, en tant que genre, propose donc une version exacerbée, hyperbolique des mouvements - principalement ceux du corps. C'est à cet endroit que le héros s'insère, en proposant face aux corps impuissants (sidekicks ou autorités moquées), ou trop communs (ceux de la foule indéterminée de fuyards à laquelle peut s'identifier le spectateur) un geste moral tout autant qu'esthétique. Ce dernier aspect a plus particulièrement retenu notre attention. Nous avons voulu dépasser l'apparente uniformité du genre Action en explorant la variété des héros au filtre de leurs corps. S'il est vrai que le héros d'Action est globalement invincible, il n'en reste pas moins le réceptacle de tous les maux. Au-delà des avanies concrètes subies par le corps du héros, c'est l'héroïsme même, dans sa formulation, qui semble former un point critique pour les personnages destinés à se dépasser. Le corps du héros, en effet, est sans cesse le lieu d'un évidement en même temps que, visuellement, des acteurs iconiques travaillent à le rendre plein. Là où les muscles imposent le corps comme masse organique, les trajectoires le rendent abstrait, subordonnent son état à un déplacement perpétuel qui ne lui appartient pas, mais qui épouse la forme rectiligne de véhicules artificiels, tels le train et la voiture. Le corps, néanmoins, qu'il soit fort dans sa puissance, ou qu'il existe en résistant à une pression constante (pression du milieu, pression d'un Autre qui le soumet à la torture) participe d'un régime qui fait du héros un être fondamentalement actant.

Grâce à ce parcours au travers d'un genre cinématographique et des présupposés qui l'animent (ne serait-ce qu'en raison de sa dénomination, que nous avons saisie comme étant programmatique), nous avons identifié des zones de flou, des endroits où le héros ne suit plus strictement une formule tenant de la seule répétition de stéréotypes. "Voyant", dans un premier temps a constitué un peu moins qu'une forme véritablement alternative. Des films comme Minority Report ou Next nous ont permis de voir que le héros répond à un impératif de vision. Si la vision est souvent multiple dans le film même, elle est véritablement polymorphe dans notre corpus, qui, pourtant réduit, ne comporte que trois films. Voir autrement, le héros le doit, en croyant, en enquêtant, et en revenant tout de même à l'Action. Si un nouveau regard informe sur l'invisible (ce qui est à venir, dans Next très particulièrement), il fait retourner l'exploit du côté du corps en permettant à ce dernier, de se dédoubler, ou de devenir pratiquement invincible.

Une nomenclature, séparant héros actants et héros voyants pourrait constituer l'issue de ce chapitre. Cette division pourrait faire écho à un partage entre héros "surhomme" et héros "normal536". Le héros surhomme, dont l'acquis est ce corps indéfectible, passerait son temps à agir. Le common man, rattrapé par son destin, se situerait davantage du côté de la perception et de la réflexion. Cette division, si elle doit être discutée, est particulièrement intéressante dans le cas de David Dunn, dans Unbreakable. Il ne correspond complètement à aucune des définitions. Précisément, il est un surhomme, mais un surhomme qui s'ignore, d'où la nécessité d'un nouveau regard. D'un héroïsme qui doit être réalisé, prouvé, nous passons à un héroïsme qui est déjà là, qui a même toujours été, et qui constitue l'objet de la quête, et plus son carburant. Dunn ne devient pas héros pour sauver une situation : la situation lui permet de se connaître lui-même, d'accepter sa nature de héros. Dans le même temps, cette nature est invisible, discrète, et ne possède rien de la tonitruance des super-héros. En ce sens, Unbreakable nous amène au super-héros tout comme il nous conduit à son négatif, l'homme normal. D'une tension entre l'homme actif et l'homme voyant, nous passons à un échange entre deux natures concomitantes, deux identités. La question du double sera ainsi omniprésente dans les deux chapitres à venir, qui traiteront de la négociation du héros avec son autre (le nerd), soit pour le rejeter ou pour l'intégrer (dans certains cas de films de super-héros). Malgré leurs limites, les héros rencontrés ici semblaient actualiser la possibilité d'un corps qui peut tout - que se passe-t-il, alors, quand le héros se retrouve face à un corps qui ne peut rien ?


536. BOATTO Sébastien. "Du surhomme à Superman". 2009, p. 124.

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